340 contribua à accréditer au cours des siècles la version miraculeuse de cette« bataille de la Néva », qui donna naissance à plusieurs chansons de geste (byliny). · Au printemps suivant, Alexandre «Nevski» reprit la lutte contre l'Ordre livonien 8 qui avait occupé les villes de Koporié, Izborsk et Pskov. La progression de ces « chiens de chevaliers » (psy-rytsari) s'accompagnait de violences inouïes. Le jeune prince réussit à reprendre ces trois villes, mais l'Ordre mobilisa contre lui toutes ses fcrces. Le noyau de cette armée, forte de 10 à 12.000 combattants, était composé de chevaliers en armures d'acier, montés sur des destriers bardés de fer, tandis qu'Alexandre Nevski ne disposait que de 15 à 17.000 hommes, en immense majorité gens de pied et beaucoup moins bien armés. C'est sur la glace du lac Peïpous qu'Alexandre réussit à arrêter « les hordes scélérates des chevaliers-mâtins » 9 • Les Allemands avaient d'abord enfoncé le centre russe, mais ils furent ensuite encerclés, abattus, noyés dans le lac, dont la g~acese rompit sous leur poids, ou faits prisonmers 10 • Cette victoire avait définitivement arrêté le Drang nach Osten et immortalisé la gloire d'Alexandre Nevski. Ces quarante premières années de la lutte contre les envahisseurs allemands ont laissé une empreinte profonde dans l'âme du peuple russe. Alexandre Nevski fut canonisé par l'Eglise orthodoxe. Il devint un nouveau saint Georges terrassant le dragon allemand qui voulait imposer au peuple russe le catholicisme abhorré. Les chansons de geste, les complaintes, les icônes !irent d:Alexandre . ~evski, pour toujours, une mcarnatton du patriotisme et de la résistance victorieuse aux Allemands. Quand, dans les premiers mois de la dernière guerre germano-russe, Staline cherchait à ranimer par tous les moyens le courage et le patriotisme des Soviétiques, il mentionna, en premier lieu dans son discours du 7 novembre 1941, le nom de ~e ~aint orthodoxe en évoquant les plus grands capitames et patriotes de la Russie. Huit mois plu~, !ard, le, 29 juillet 1942, le gouvernement sovietique crea un «ordre d'Alexandre Nevski » destiné à récompenser les officiers les plus valeureux. Au cours de la guerre, 40.217 officiers reçurent cette décoration. Le gouvernement communiste avait ainsi rétabli en fait l'ordre de saint Alexandre Nevski institué par Pierre le Grand en 1725, alors que ce même gouvernement avait aboli les décorations impériales au lendemain de la révolution d'Octobre. 8. Le pape Grégoire IX avait, ·en 1237, ordonné aux restes de l'ordr~ du Glaive, auquel les Lithuaniens avaient infligé une d~fa1te écras~nte, de fusionner avec le puissant Ordre teutonique. La fibale de ce dernier, établie dans les provinces baltes, a pris le nom d'Ordre livonien. - e 9. Grande Encyclopédi'e Soviétique (titre abrégé : G.E.S.), 2 éd., t. 2, p. 77. 10. lbfd.1 t. 24, p. 435. Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE GRACE au culte d'Alexandre Nevski, fidèlement entretenu durant plusieurs siècles par la · mémoire populaire et par l'Eglise, culte qui, même sous le régime communiste, n'a subi . qu'une courte éclipse, l'image du féroce agresseur allemand bardé de fer, monstre assoiffé de sang et de pillage, s'est maintenue jusqu'à nos jours dans l'âme russe. Sa persistance fut, d'ailleurs, grandement consolidée par la reprise des hostilités germano-russes qui, pendant plus de trois siècles et demi, ensanglantèrent presque sans répit le Nord-Ouest du pays. Les Allemands ne mirent qu'une dizaine d'années pour digérer leur défaite du lac Peïpous. Les hostilités reprirent en 1253 par une attaque allemande contre Pskov. La guerre continua jusqu'à la disparition de l'Ordre livonien, en 1562, et le partage des possessions allemande de Livonie entre la Pologne-Lithuanie, la Suède et le Danemark. Cette lutte acharnée accumula chez les deux adversaires un solide fonds de haine réciproque. Pour les chevaliers de l'Ordre, le clergé et les féodaux allemands, les Russes étaient avant tout des ennemis jurés de la foi chrétienne. Les us et coutumes de l'ancienne Russie, si différents de ceux de l'Europe occidentale et de plus en plus profondément imprégnés d'emprunts faits aux Grecs et aux Tatars, ne pouvaient que consolider leur haine hautaine et méprisante pour cette « race ~~rie1;1re» qui avait l'audace de s'opposer à la civilisation allemande. Cette mentalité est devenue chez les Allemands des provinces baltes de ~~ss~e, une. seconde nature, un complexe de superionte qw se retrouve de nos jours aussi bien chez les rejetons de la noblesse que chez les roturiers 11 • Quant aux Russes, héritiers inconscients de la haine du clergé byzantin et oriental envers Rome leur aversion à l'égard de l'Allemand était exas~ pérée par leur propre infériorité dans les domaines les plus divers, par le retard indéniable de leur civilisation. Tout cela était infiniment blessant pou~ le~ir chato~eux orgueil national, ulcéré par le dedam affiche par les Occidentaux. Dans leurs contacts avec les étrangers, les Russes d'alors, t~ut .co~e beaucoup ~e Soviétiques d'aujourd hm, etaient hypersensibles aux moindres manqueme!1t~, réels ou imaginaires, aux égards qui leurs etaient dus : aux xv1e et xvue siècles, les ambassa_deurs russes ne manquaient jamais de S?~ever dans les cours étrangères des incidents ridicules à propos des moindres détails d'étiquette et de préséance. C~ complexe psychologique, sans cesse exa- .cerbe par le c~ntact avec les Allemands, le plus souvent prussiens ou baltes, se faisait sentir à tous les niveaux de l'échelle sociale; pour le peuple ~omme pour les boyards, l'Allemand était • 1_1.. On retrouve, et pour les mêmes raisons, une mentalité similaire de morgue et d'orgueil chez les Prussiens dont 1< a ancêtres, chevaliers t~utoniques ou leurs compagno~s, avaient en leur temp~ conquis les peuplades slaves du littoral balte et de Prusse orientale. ..
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