Le Contrat Social - anno VII - n. 6 - nov.-dic. 1963

G. ARONSON. ou moralement, les a autorisés à mettre l'opinion publique devant le fait accompli ? PARMI les énigmes que pose le mouvement maçonnique, il en est une d'un intérêt particulier : existait-il des bolchéviks parmi les maçons ? Chez les bolchéviks, de même mais bien moins que chez les socialistes d'autres tendances, il y a eu quelques maçons. La part prise par Kérenski au mouvement maçonnique prouve qu'il y en avait chez les socialistesrévolutionnaires. Parmi les maçons menchéviks, on a cité les noms de Tchkhéïdzé et d'Halpérine. I. V. Hessen qualifie Halpérine de membre du Comité central social-démocrate; or, si Halpérine était affilié en effet au parti, jamais il n'entra dans ses organismes directeurs. Disons, pour rétablir la vérité, que dans ses Mémoires, parlant des réunions chez Kouskova, où fut arrêtée la composition du gouvernement, Milioukov mentionne la présence de deux social-démocrates qu'il range dans la tendance bolchévique ; pour E. L. Gourévitch-Smimov, l'allégation est fausse, ce dernier ayant toujours été un menchévik de droite, tendance révisionniste, collaborateur actif de Kouskova et de Prokopovicz. Quant au comportement des bolchéviks face au mouvement maçonnique, il est difficile d'en dire quelque chose de concret. La littérature soviétique, qu'il s'agisse d'ouvrages d'histoire ou de mémoires, fait rarement état des francsmaçons. Un curieux exemple de ce qui est permis est fourni par l'extrait suivant des Mémoires d'André Biély 7 , caractéristique lui aussi de la personnalité de ce poète à l'inspiration trouble et ardente qui, sans être bolchévik, s'insinua vers la fin de sa vie dans les bonnes grâces des communistes : « Quelque chose encore se dissimule derrière le capitalisme et lui donne sa face démoniaque ; l'existence des sociétés secrètes me hantait, sociétés de capitalistes, nantis d'une puissance particulière, ignorée des autres; je m'étais fait peu à peu une idée de la franc-maçonnerie que j'abhorrais; si je n'avais pas entièrement raison, je n'avais pas non plus complètement tort; mais allez donc, dans ces années-là, dire aux cadets que la maçonnerie était une puissance dont il fallait se méfier ? Au mieux, je me serais fait traiter d'idiot: des maçons ? il n'y en a _pas(...). A présent, depuis· 1933, je sais tout : Milioukov, Kovalevski, Kokochkine, Téréchtchenko, Kérenski, Kartachev, les frères Astrov, Bajénov qui enténébraient Moscou avec la mascarade du "Cercle" [maçonnique], des gens qu'il m'est arrivé de rencontrer à l'époque ou plus tard, étaient les personnages bien réels de mes hallucinations, quoique très probablement ils y aient joué un rôle pitoyable, effacé; aujourd'hui, 7. André Biély : Entre deux rwolutiom, Moscou 1934, p. 316. , Biblioteca Gino Bianco 333 les documents mis au jour en apportent la preuve: la guerre mondiale et les plans secrets furent préparés dans l'officine maçonnique ... » Inutile de poursuivre... Ajoutons seulement que les bolchéviks n'ont jamais publié le moindre document sur la présence de bolchéviks dans les loges de Russie. Cependant, on sait aujourd'hui que N. D. Sokolov, avocat bien connu qui gravitait autour des bolchéviks, était maçon. On peut également supposer que Stépanov-Skvortsov, vieux bolchévik resté jusqu'au bout fidèle à Lénine, cité par Milioukov comme une des personnalités qui, chez Kouskova, établirent la liste du Gouvernement provisoire, était lui aussi maçon. Quant aux rumeurs au sujet de l'appartenance maçonnique de certains bolchéviks, elles ne concernent pas les loges de Russie, mais celles de France. Un épisode qui se situe peu avant la première guerre mondiale mérite de retenir l'attention. Certains détails permettent d'y voir la main de la franc-m1çonnerie. Il s'agit d'une information parue, contre toute attente, dans la revue!communiste Questions d'histoire du P.C. de ['U.R.S.S. 8 • Il y est question d'une lettre de Russie reçue par Lénine, le 22 mars 1914, lors de son séjour en Galicie : « ••• Par son contenu, [ la lettre ] était à tel point clandestine que longtemps il fut impossible de savoir quel était son auteur et d'où elle avait été expédiée. » Aujourd'hui, il est avéré que l'auteur était le bolchévik N. P. Iakovlev, qui, au début de 1914, s'évada du lieu où il était déporté. Or la teneur de la lettre, dont quelques maigres extraits seulement ont été reproduits et qui avait beaucoup intrigué Lénine, était la suivante : Iakovlev informait Lénine que « dans les milieux libéraux, un tournant à gauche se dessinait», que certains représentants de ces milieux, « dont les caractéristiques, la situation sociale et l'influence s'évaluent en millions de roubles », essaient d'organiser des « rencontres » entre hommes politiques cadets, progressistes et délégués des partis de gauche pour s'enquérir de l'état d'esprit des différentes couches sociales et « se préparer à des événements prochains ». Il est clair qu'il s'agit 4'une invite émanant de milieux libéraux détestés de Lénine. Il est donc très probable que l'initiative de ces « rencontres » entre libéraux et socialistes venait des francsmaçons qui étaient passés à l'action à la faveur de l'affaire Raspoutine et des conflits entre la Douma et le gouvernement, lesquels créaient une situation explosive. Lénine mordit à cette lettre tout d'abord parce que son flair lui fit subodorer des subsides. Il posa carrément la question à son correspondant: les groupes avec lesquels celui-ci était en contact étaient-ils « à même de fournir des fonds » ? Malheureusement, la réponse de Lénine, tronquée, ne donne qu'une faible idée de son contenu : 8. Questions d'histoire du P.C. de l' U.R.S.S., n°8 3 et 4, Moscou 1957.

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