LES FRANCS-MAÇONS ET LA RÉVOLUTION RUSSE par Grégoire Aronson ' l'activité des francs-maçons russes sur le J USQU'A PRÉSENT on ignore presque tout de plan politique et social. Les historiens auront du mal à établir l'apport spécifiquement maçonnique dans l'intense activité des zemstvo, du « Comité militaire et industriel », de la Douma et de ses commissions spéciales. En fin de compte, les objectifs des maçons coïncidaient avec ceux d'hommes politiques n'appartenant pas à la maçonnerie ; les méthodes étaient les mêmes, abstraction faite de l'organisation secrète des maçons. Qu'est-ce qui distinguait, à l'époque du Bloc progressiste, l'activité du nonmaçon P. N. Milioukov de celle du maçon V. A. Maklakov ? Ou bien l'activité de S. P. Melgounov de celle d'E. D. Kouskova ? Ou encore A. F. Kérenski d'A. N. Potressov .? A en juger par leurs Mémoires, les maçons s'intéressaient particulièrement à la composition du futur gouvernement, qu'il s'agisse d'une équipe investie de la confiance du Parlement ou d'un ministère muni de pleins pouvoirs. S. P. Melgounov reproduit dans son livre : V ers. la révolution de palais, une lettre d'E. D. Kouskova dans laquelle celle-ci relate que, le 6 avril 1916, une conférence, tenue dans son appartement de Moscou, et comprenant des délégués de différents partis, avait dressé la liste des membres du futur gouvernement, un an avant la révolution. Y figuraient presque tous ceux qui, en 1917, devaient former le Gouvernement provisoire. Ces années-là, pareilles listes circulaient un peu partout, composées de personnalités très populaires. Comme l'écrit Kouskova, en dressant la liste, « on était allé des cadets aux octobristes. Personne, à l'époque, ne songeait à Kérenski », pas plus qu'à Tchkhéïdzé, Skobélev ou Gvozdiev, bien que des socialistes eussent participé à la conféren:e. Il n'avait pas été fait allusion aux socialistes, peut-être parce qu'on estimait que ceux-ci, les social-démocrates notamment, n'entreraient pas dans un gouvernement de coalition . dominé par les partis bourgeois. Il est possible Bibliot. ca Gino Bianco II que la conférence tenue chez Kouskova ait été d'ordre maçonnique. Ce fut « une conférence de tous les partis », à vrai dire non de leurs délégués, mais d'invités à titre personnel. .. Comme l'a constaté Melgounov, non sans ironie, partout des « gens prévoyants » préparaient le gouvernement du lendemain et des « officines politiques » fonctionnaient dans différents milieux. Milioukov, dans ses Mémoires, donne une liste établie dès le 13 août 1915 au domicile de P. Riabouchinski. M. A. Aldanov écrit qu'en 1916, dans le bureau du prince Lvov, à l'hôtel Frantsia, fut arrêtée la liste du futur Gouvernement provisoire de la révolution de Février (Kérenski excepté), comprenant Milioukov, Goutchkov, Lvov, Nabokov, Chingarev, Maklakov, Konovalov et d'autres. Dans la période qui précéda Février, les maçons avaient tendance à rester dans l'ombre : leurs principales personnalités, Kérenski, Nékrassov, Téréchtchenko, n'étaient pas encore candidats au pouvoir. Leur heure ne viendra qu'en février. Quand éclata la révolution, le comité de la Douma, de concert avec le « comité de liaison » du Soviet des députés ouvriers et soldats, établit, dans la nuit du 3 mars, une liste des membres du Gouvernement provisoire ; la même nuit, prenant la parole à un meeting au palais de Tauride pour présenter les premiers ministres de la révolution, Milioukov se trouva dans une situation difficile. « Le plus malaisé, écrit-il dans ses Mémoires, était de patronner la candidature d'un nouveau venu que nul ne connaissait, en l'occurrence Téréchtchenko, le seul " ministrecapitaliste" parmi nous. Sur quelle " liste" pritil " le chemin " du ministère des Finances ? J'ignorais alors qu'il venait du même milieu qui avait imposé Kérenski et d'où provenait le républicanisme de nos [ c'est-à-dire cadets] Nékrassov et Efrémov. Ce n'est que beaucoup plus tard que j'appris cette origine 1 • » I, P. N, Milioukov : Mémoires, t. Il, pp. 311-12.
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