Le Contrat Social - anno VII - n. 5 - set.-ott. 1963

312 envisage, pour une échéance très rapprochée, peutêtre quinze ans ou vingt ans, une abondance telle, par exemple, en céréales, qu'elle permettra la distribution gratuite du pain, selon la formule : à chacun selon ses besoins>>.Un thuriféraire de Staline nommé Ch. Bettelheim, dans un livre écµté chez Sirey, fait état de ce .mensonge pour écrire effrontément: « ••• Au cours des discussions qui précédèrent le XIXe congrès du P.C. de l'U.R.S.S., le problème de la mise en distribution gratuite du pain, d'ici un certain nombre d'années, a été évoqué. lTne telle mesure représenterait, dans l'esprit des dirigeants soviétiques, un pas ~s le sens du passage du socialisme au coromurusme... » En 1952, M. Georges Boris, haut fonctionnaire des Nations Unies, séduit par le stalinisme, faisait largement circuler un mémorandum pseudoconfidentiel vite répercuté dans toute la presse et tablant sur le cinquième plan quinquennal soviétique pour vanter la supériorité de l'économie totalitaire. Il affirmait notamment : ...Il apparaît certain que l'alimentation du Soviétique pourra comporter plus de pain que l'alimentation du Français. On [ ?] prête au gouvernement de Moscou le dessein d'instituer, quand il le pourra, le pain gratuit : outre la satisfaction que cette réforme donnerait à la population qui en bénéficierait, l'effet de propagande à l'extérieur en serait considérable. L'importance de la production prévue en céréales montre qu'elle peut entrer bientôt dans le champ des possibilités. A la même date (octobre 1952), M. Alfred Sauvy écrivait dans le Monde : « La stagnation des économies européennes, surtout celle de l'économie française, contraste avec les progrès constants de la production soviétique. Le moment critique est venu. » Jugeant le régime soviétique « plus productif que le nôtre », il concluait : « Revenons aux progrès soviétiques : si les courbes doivent continuer leurs tracés, tant à l'Est qu'à l'Ouest, la question est réglée. » Sous le couvert du mode conditionnel, une campagne bien orchestrée dans la presse faisait écho à MM. Alfred Sauvy, Georges Boris et consorts pour accréditer le mythe du progrès vertigineux de l'économie caporalisée, en l'illustrant de ce pain gratuit à l'échéance rapprochée de jour en jour. La nécessité de nous borner ici à un seul exemple incite à prendre, parmi bien d'autres, celui du Figaro où M. Jean Claude écrivait le 12 décembre 1952: Or il semblerait que pour faire un geste spectaculaire et dont on aurait grand tort de sous-estimer la force explosive de propagande, on prépare à Moscou l'instauration du pain gratuit au cours de l'exécution du présent plan. . · Que l'on veuille bien chez nous prendre au sérieux cette menace et les dangers de cette nouvelle forme de guerre froide. Imaginez .ce que sèrait l'effet sur des masses populaires d'Europe occidentale, ·déjà acquises \ ou sympa~santes, d'une telle annonce: « Au pays des . Biblioteca Gino B.ianco LE CONTRAT SOCIAL Soviets, le pain est gratuit ! » Puissent ~os stratèges politico-militaires réfléchir aux armes du conflit de demain autant au moins qu'à celles du conflit d'hier. ·. Le pain quotidien, celui qu'humblement demandent depuis deux mille ans les chrétiens de toutes races dans leur prière journalière. Le pain assuré, la garantie · contre la faim et la dégradation physique et morale qu'elle engendre ! Comment n'être pas bouleversé en entrevoyant ce miracle : le pain gratuit !· · Des insanités de ce genre ont pullulé en Occident depuis 1952. Un rédacteur du Monde n'a pas craint de prétendre (17 décembre 1952) que « le nive·aude vie moyen du Russe n'est pas inférieur au nôtre». M. Georges Boris prédisait que la comparaison entre l'U .R.S.S. et la France se ferait à l'avantage des communistes entre 1955 et 1960, qui, alors, pourraient... soulever le rideau de fer, ajoutant : « La même idée a été exprimée par M. Gordey et par M. Alfred Sauvy qui ont même évoqué la possibilité que l'Occident soit tenté d'abaisser à son tour le rideau de fer.» Un certain Emile Hughes, ancien ministre, discourant à Nice le 10 janvier 1955, faisait chorus : « ~i nous n'augmentons pas notre productivité, c'est la France qui devra abaisser un rideau de fer autour de ses frontières. » Etc. * ')f ')f On demeure confondu devant tant d'ignorance et de bêtise. Dix ans ont passé, les admirateurs de Staline-pain-cher n'osent plus vaticiner sur le pain gratuit ni sur l'usage du rideau de fer. Mais un écolier, sinon M. Sauvy, aurait pu comprendre spontanément que le pain non payé par le consommateur le serait nécessairement par le contribuable, comme l'a dit Yves Guyot en réponse à l'enquête de Victor Barrucand à la fin dù dernier siècle 2 • Ce qui est vrai en général l'est encore plus en particulier dans le cas des Etats « socialistes » incapables de produire assez de blé et qui ne peuyent en importer qu'en exportant leur or. Il est intéressant de noter que l'abbé Lemire, répondant à la même enquête, a prévu:« Le pain gratuit sera réclamé au-delà des besoins de la famille et il servira - comme je l'ai vu pour le pain donné par des conférences de Saint Vincent de ·Paul et des bureaux. de bienfaisance - à la nourriture· des bêtes qu'on engraissera pour s'enrichir ... » C'est en effet, mutatis mutarulis, ce qui a lieu actuellement en U.R.S.S. où la presse dénonce les acha1!Sabusifs dans les boulangeries par des clients· qui nourrissent ainsi à bon marché leur volaille et leur petit bétail : il suffit que le ·pain soit moins cher q~e le fourrage. Phénomène économique naturel qui s'ajo_ute à l'incurie et à la gabegie spécifiquement soviétiques, aux pertes et aux coulages, au pillage et au gaspillage, à la bureaucratie et au parasiti~me dont l'ensemble caractérise_ce qui se dénomme de nos jours le « commurusme ». 2. Le Pain gratuit, Paris 1895.

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