\ 310 que l'indépendance d'esprit dont il fait preuve, sur des thèmes parfois brûlants et restés souvent douloureux, n'est pas dépourvue de courage. Comme il l'écrit à juste titre, « cet ouvrage n'est ni polémique ni partisan. Il ne vise qu'à dissiper des préjugés, à aider aux réconciliations. » Ce n'est pas toujours chose facile, car, comme il le note également, « il reste beaucoup à faire pour qu' Allemands et Français se:jugent équitablement les uns les autres ». Le mérite intellectuel et civique n'est pas mince d'y avoir efficacement contribué par ce volume. Notons au passage cette appréciation de M. Lauret, qui participa lui-même activement à la Résistance : « Si la politique de Hitler envers la France, plus encore envers la Tchécoslovaquie et la Pologne, fut exécrable, celle de la France, du jour où elle ne lui fit pas la guerre alors qu'elle le pouvait, jusqu'à celui où elle la fit n'en étant plus capable, fut toujours d'une absurdité totale. » Ch. M. de M. Milieux sociaux PIERREBLET0N: La Vie sociale sous le Second Empire. Paris 1963, Editions ouvrières, 120 pp. CE PETITLIVREannonce en sous-titre : « Un étonnant témoignage de la comtesse de Ségur.» C'est dire qu'il n'a aucunement la prétention de se donner pour un tableau exhaustif de la société impériale. L'originalité de l'auteur consiste à avoir noté dans les nombreux ouvrages que la comtesse écrivit pour les enfants les caractères sociaux qu'elle dépeint avecune minutie de femme de ménage. S'exerçant sur un milieu plus provincial que parisien, le réalisme de la comtesse n'épargne rien de ce qui concerne la vie des gens qu'elle coudoie : l'état de leur fortune, la qualité de leurs vêtements, leur mobilier, le menu de leurs repas, leurs habitudes conjugales, leurs conceptions en matière d'éducation, etc. Les descriptions de la comtesse de Ségur, compte tenu de ses préjugés conservateurs et de son origine russe, semblent vraisemblables, et M. P. Bleton n'a pas craint de dresser une échelle des revenus et des genres de vie d'après ses romans. Les conclusions ont une certaine objectivité, laquelle correspond aux fréquentations de la comtesse. On y trouve surtout des propriétaires, fonciers ou industriels ; des cultivateurs, fermiers ou journaliers; des commerçants, des . domestiques et des « gens de maison » (précepteurs, institutrices, etc.), tous personnages qui gravitent autour d'une riche ~bourgeoisie dont l'oisiveté est la caractéristique dominante. Peu d'ouvriers, dont la comtesse se faisait une idée arbitraire et conventionnelle, et il ~erait ridicule de vouloir considérer ses récits comme une source de renseignements sérieuse sur la vie ouvrière. A l'en croire, par exemple, des logements auraient Biblioteca Gino Bianco ' . LE CONTRAT SOCIAL été attribués gratuitement aux ·travailleurs, alors que d'après tous les témoignages, les loyers ont. doublé de 1850 à 1870 et absorbaient, à Paris, 30 %· au moins du salaire moyen... Pour la comtesse, comme pour beaucoup de bourgeois de son temps; la charité est le seul antidote au vice et à la misère. Charité exceptionnelle d'ailleurs, car ce qui est peint ici, non sans certaine pointe ·de sadisme, c'est un monde brutal où règne la lutte pour la vie et où les faibles sont écrasés par les forts. Pareil témoignage n'est pas dépourvu d'intérêt, à condition d'en délimiter les contours. L'auteur a cru bon de faire figurer en annexe une statistique professionnelle et sociale qui est inutilisable parce que tirée des recensements de 1851 et de 1866 dont les catégories sont imprécises et les chiffres contradictoires. MARIAGIAC0BB:E Institutrice en Sardaigne. Traduit de l'italien par Magda Martini. Paris 1963, Editions ouvrières, 160 pp. CES SOUVENIRdS'une institutrice sarde nous plongent dans un milieu social qui, même de nos jours, semble être resté étranger à une quelconque forme de civilisation. La pauvreté du sol, la sécheresse, l'absence de voies de communications, une mauvaise répartition de la propriété font de la Sardaigne, comme de la Sicile et du sud de la Péninsule, une province déshéritée. L'absence d'une hygiène élémentaire et les préjugés religieux y créent une surpopulation soumise à la dénutrition et aux maladies chroniques. Alcoolisme et analphabétisme y sont communs. Le tout est couronné par un banditisme, réel ou imaginaire, qui s'auréole de prestige et contribue à isoler davantage encore les villages, ces petites communautés fermées où se cultivent les traditions de toute .vie nationale. L'expérience de l'auteur fait comprendre les difficultés presque insurmontables que rencontre la diffusion d~ l'instruction parmi des enfants pour qui le lait est un luxe inaccessible et qui n'ont jamais couché dans un lit. Toute pédagogie est, en définitive, fonction de l'environnement social. Celui-ci détermine les centres d'intérêt sur lesquels doit s'appuyer la pédagogie qui, dans le cas présent, risque de revêtir un aspect imaginaire ou artificiel quand il lui faut se hisser au niveau des exigences de la civilisation. Les anecdotes, parfois pittoresques, parfois touchantes, dont s'émaillent ces souvenirs, font apparaître, par ce qu'elles contiennent de vérité humaine, par les obstacles qu'elles évoquent, les immenses difficultés que les pays sous-développés devront surmonter pour accéder à un état de civilisation comparable au nôtre. En ce sens, la Sardaigne n'est pas pour nous moins lointaine que le tiers monde : Afrique, Asie ou Amérique latine. Et cela, bien que l'auteur, terminant sur une note optimiste, dise sa satisfaction d'avoir vu quelquesuns de ses élèves s'élever au niveau d'ouvriers qualifiés... MICHEL CoLLINET.
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==