302 secrète stalinienne, n'avait rien de commun avec le slavisme ni le panslavisme, mais il a fait d'innombrables dupes en Occident où maints pontifes de la politique, de la diplomatie et de la presse prenaient Staline pour un Slave, interprétaient ses infamies en se référant à « l'âme slave » et justifiaient sa boulimie annexionniste au nom des aspirations de la race slave. Après cela, Djilas confirme en tous points, même au-delà de toute attente, à propos de la dissolution du Comintern, ce que nous avons dû écrire souventefois pour réfuter les assertions fausses des commentateurs patentés (encore eux) qui tantôt inventent une exigence de Roosevelt, tantôt supposent une initiative du Kremlin pour complaire à Roosevelt. Il ne reste rien de ces commérages. Dimitrov a raconté à Djilas comment était né le projet, lors de l'annexion des Etats baltes, donc en l'an 40, et pourquoi la dissolution fut remise à plus tard : pour ne pas « donner l'impression d'avoir agi à la suite d'une pression exercée par l'Allemagne ». Staline en personne dit à Djilas : « Les Occidentaux sont si sournois qu'ils ne nous en ont jamais parlé. Et nous sommes si têtus que s'ils nous en avaient parlé, nous ne l'aurions jamais dissous. » Sur ce point précis, on pèut le croire, mais quant à ses mobiles inavoués, inavouables, c'est une autre affaire que l'on devra traiter ailleurs. Sautant d'un sujet à l'autre, au hasard des rencontres et des épisodes de ses séjours à Moscou pendant la guerre, Djilas avoue ·qu'à l'époque, il était « persuadé que les trotskistes, les boukharinistes et autres adversaires du Parti (sic) devaient être considérés comme des espions et des naufrageurs... », ce qui ne donne pas une haute idée de son intellect. Encore maintenant, il en parle sans se douter que cela équivaut à dire que le Parti était l'adversaire du Parti. Plus loin, il rapporte une réplique intéressante, sincère pour une fois, de Molotov, à qui il avait « fait remarquer » que le P.C. yougoslave, « comme le parti bolchévilc au cours de la première guerre mondiale », était « illégal, relativement peu nombreux, quelque dix mille membres, mais parfaitement organisé ». Citons: « - Rien n'est plus inexact ! répondit Molotov. La première guerre mondiale trouva notre parti dans un état de faiblesse extrême, complètement désorganisé, éparpillé, avec des effectifs squelettiques. » Là, Molotov dit vrai, confirmant pleinement l' Histoire du Parti de Zinoviev, et il dément ainsi l'historiographie officiellefrelatée sous Khrouchtchev comme sous Staline. Enfin les souvenirs de Djilas revêtent une grande importance quand ils relatent les contacts et les · conversations avec Staline, quand ils décrivent le comportement de la coterie dirigeante dans le privé..Pour la première fois depuis les Mémoires de Trotski, trop discrets sur ce chapitre, on a un aperçu de la manière d'être de ces gens au naturel, et c'est une véritable, une véridique, une précieuse contribution à l'histoire. On voit ces vils parvenus qui s'empiffrent et qui s'enivrent Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL pendant que des millions d'individus souffrent et périssent ad majorem Stalini gloriam. On les. entend, pour ainsi dire, tenir leurs propos cons- · ternants de bêtise et d'ignorance prétentieuses. Une scène bien révélatrice à elle seule suffit à les caractériser: « Au début du dîner, quelqu'un - je crois bien que ce fut Staline lui-même ~ proposa que chacun devinât combien le thermomètre, dehors, marquait de degrés au-dessous de zéro, et que chacun_fût, en guise de punition, obligé de boire un nombre de verres de vodka égal au nombre inexact de degrés qu'il avait indiqué. (...) Je me souviens que Béria fit une erreur de trois degrés et qu'il dit l'avoir fait exprès pour boire davantage.» On s'en voudrait de commenter ce passe-temps de sous-offs désœu- ,, · vrés, en pleine guerre. La naïveté de Djilas se traduit, après un repas chez Staline où l'« on mangea beaucoup, on but plus copieusement encore et l'on porta des toasts aussi nombreux qu'inutiles », dans la réflexion suivante : « ••• J'essayai, en vain, de découvrir les motifs qui poussaient les représentants de la haute société soviétique à boire avec autant de résolution que de fureur. » Une autre fois, Djilas, que préoccupent des « problèmes », consulte Staline sur la différence entre les notions de « peuple » et de « nation ». Molotov répond le premier, Staline le corrige, aussi primaires l'un que l'autre: c'est à pleurer (cf. p. 173, pour ceux que cela intéresse). On n'a pas ici la place de citer la centième partie de ces platitudes. Mais il vaut la peine de consigner pour la postérité ce qui tenait lieu de science à Staline en matière d'ethnologie slave. Au cours d'une des conversations, le « secrétaire génial » s'enquiert des Albanais, qu'il tient pour des Slaves, et Djilas lui révèle que ce peuple est le plus ancien des Balkans, antérieur aux Grecs et aux Slaves. « - J'avais espéré que les Albanais étaient au moins un peu slaves», commente Staline, qui se renseigne ensuite sur les Serbes. Son iri.terlocuteurmonténégrin prononce en serbe quelques mots désignant certaines choses, et Staline de s'exclamer: « Bon Dieu, il n'y a pas de doute, c'est le même peuple. » Dans un autre entretien, Staline déclare : « - Nous ne nous intéressons pas à l'Albanie. Nous sommes d'accord pour que la Yougoslavie avale l'Albanie... », et d'un geste de la main à sa bouche, « il fit mine d'avaler». Djilas se demande si c'est une plaisanterie, mais Staline insiste, répétant son geste : « - Mais oui, j'ai bien dit avaler. (...) Le plus vite sera le mieux. » A verser au dossier des.chefs communistes albanais qui ne jurent actuellement que par Staline. Un fragment de discussion avec Kardelj sur le Benelux comme exemple d'union douanière en dit long encore sur Staline, personnage aussi obtus et ignare que lâche et cruel. Il ne veut pas que la Hollande soit incluse dans le Benelux, dont il ne déchiffre pas la contraction. Kardelj n'ose pas insister, Djilas n'ose pas lui expliquer que la syllabe « ne » dans Benelux signifie Nederland.
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