QUELQUES LIVRES Stalinîana MIL0VANDJILAS: Conversations avec Staline. Paris 1962, Ga11imard, 225 pp. MIL0VANDJILAS,communiste hérétique évolué en social-démocrate, expie pour la deuxième fois dans une prison titiste le crime d'avoir exprimé des idées non conformistes. On ne peut que rendr~ ·h~~~ge à sa sincérité et à· son courage, ce qw n unplique pas d'approuver tout ce qu'il écrit. Son incarcération actuelle est, à la honte du régime pseudo-communiste de Tito, un déni de. jus1:iceparticulièrement odieux, car le livre qw lm vaut une condamnation arbitraire ne contient rien de répréhensible en matière de défense ou de sécurité nationales, ni secrets d'Etat, ni révélations apparemment dangereuses pour le pouvoir qui le persécute. Même les conversations avec Staline n'y tiennent pas beaucoup de _place; mais elles présentent un intérêt particulier que les -commentateurs «bourgeois» occi- ·dentaux, en accord spontané avec les communistes, ont soigneusement passé sous silence. L'esprit critique de Djilas a des limites assez étroites, sa culture est sommaire, mais une certaine. intelligence du cœur lui permet de ·voir, parfois de comprendre, ce que son catéchisme doctrinal appris dans l'adolescence interdisait de voir et de comprendre. Son livre sur la « nouvelle classe» attestait l'excellence de sentiments qui ne sont certes pas mauvais guides et, en même temps, montrait que l'auteur ne s'est nullement délivré de certaines notions toutes faites, aussi fausses que répandues. Djilas a eu le grand mérite de crier la vérité sur la « nouvelle classe » née de la pseudo-dictature du prolétariat, classe de profiteurs, d'exploiteurs et d' oppresseurs, sans s'arrêter devant les objections dog- ~tiques à la Trotski ayant trait aux définitions livresques de la classe (querelle de langage vieille d'un tiers de siècle). Il affaiblit cependant sa d~onstration en admettant, à l'instar d'éconolDlSteset de publicistes ignares ou stupides en Occident, que la dictature des parvenus du communisme eut son utilité dans l'industrialisation ~e pays où prédominait l'agriculture. On a plusieurs fois prouvé ici que l'industrie progressait à pas de géant sous le tsarisme, sans Guépéou ni campsde concentration,comme naguèreaux Etats-Unis, en Allemagne et au Japon. Djilas méconnaîtdes choses aussi simples. Biblioteca Gino Bianco Il y aurait beaucoup à contester, à discuter, dans son nouveau livre, tout en tenant compte de la censure qu'il a dû s'imposer à luimême. C'est ainsi qu'il fait allusion aux« purges», c'est-à-dire à l'assassinat de ses camarades communistes condamnés par Staline, sans rien dire des frères Vouyovitch, de Novakovitch, de Miletitch, de Gorkitch, de tant d'autres, se bornant à noter que « la presque totalité du groupe des c~mmunistes yougoslaves périt» en Union soviétique. Pas un mot non plus sur la première femme de Tito, disparue sans laisser de traces. Ce sont là des exemples de lacunes que justifie, peut-être, la crainte de s'attirer les foudres policières pour des détails qui n'en valaient pas le risque; précaution inefficace, comme on sait. Plus fâcheuses sont des vulgarités que Djilas a lues ou entendues et qu'il adopte sans discernement. Entre autres, il prend Manouilski, fils d'un pope de Volhynie, pour un « Juif ukrainien» (sottise inventée par un rédacteur du Monde). II répète le poncif éculé qui fait mérite à .Staline de n'avoir pas quitté Moscou en 1941, lors de l'avance allemande, alors que le despote paranoïaque, servi par une nuée d'espions, avait largement le temps et les moyens de s'en aller, en cas de besoin. Etc. Mais cela ne diminue pas la valeur des pages qui gardent leur importance unique, celle des vérités inédites. D'abord il appert qu'à Moscou, les dirigeants ne comprenaient absolument rien à ce qui se passait en Yougoslavie et que, réciproquement, les chefs yougoslaves ne comprenaient absolument rien au régime soviétique, idéalisé à l'extrême dans leur imagination (observation qui ne vaut pas seulement en cette occurrence). « Lorsqu'il fut confirmé que l'Ouest s'était montré compréhensif à l'égard des résolutions de Jajce, Moscou modifia alors seulement son attitude et admit la réalité de ces résolutions », écrit Djilas. Autrement dit, Staline ne sanctionna l'orientation socialiste ou communiste des « partisans » yougoslaves qu'après Churchill et Roosevelt, dont il avait craint une réaction hostile. Ensuite, toute l'imposture du Comité panslave composé de figurants serviles, présidé par une ganache, administré par un mouchard, s'étale dans sa hideur écœurante : « On mangeait bien au quartier général du Comité panslave, on y buvait plus encore, et l'on s'y perdait en bavardages. » Ce comité fantoche, dérisoire instrument de propagande au service de la police
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