300 formulée sans équivoque, et des intellectuels en vue durent rendre compte de leur comportement «oppositionnel». Le feu de la critique fut dirigé non seulement contre Kunert, Huchel, Hacks et Langhoff, mais aussi contre Stephen Hermlin 10 , éminent écrivain du Parti, et contre Anna Seghers. Le réquisitoire était des plus sévère : on les accusait de « sabotage idéologique », de « nihilisme petit-bourgeois»; on leur reprochait d'attaquer l' «idéologie socialiste» et le «rôle dirigeant du Parti ». Selon le porte-parole officiel, les formules du «réalisme socialiste » n'étaient plus les seules en cause, mais aussi «la souveraineté des ouvriers et des paysans, et la voie qui mène au socialisme». Ulbricht lui-même affirma on ne peut plus nettement son intention de mettre au pas les intellectuels : Nous ne permettrons pas que des tendances erronées, dangereuses et nuisibles soient imposées au peuple, nous ne tolérerons pas que l'on tente, sous couvert de lutter contre le stalinisme et le culte de la personnalité, de désorganiser la politique fondamentale du Parti et du gouvernement et de saper notre travail 11 • La campagne lancée contre les écrivains, qui atteignit son point culminant à la fin mai, semble aujourd'hui mise en sommeil. Sur les instances de la direction du Parti, l'Association des écrivains de l'Allemagne de l'Est tint une conférence où les délégués furent chargés d'élire un nouveau conseil exécutif, bien que rien dans les statuts n'ait motivé une nouvelle élection. Près de la moitié des membres de l'ancien conseil perdirent leur siège, y compris les plus éminents d'entre eux qui nourrissaient des vues critiques sur la politique du régime. Parmi eux, Hacks, Hermlin et Huchel - comme on pouvait s'y attendre,~ mais aussi Bodo Uhse, précédemment nommé rédacteur en chef de Sinn und Form en remplacement de Huchel ; Willi Bredel qui, au mois de janvier, avait été élu au Comité central du S.E.D. ; Lilli Becher, veuve de Johannes R. Becher ; les écrivains Harald Hause et Stefan Heym, tous deux vétérans communistes connus pour leur attitude critique à l'égard du régime ; enfin Otto Braun, ancien secrétaire de l'Association des écrivains, jugé trop «libéral». En tout, vingt-trois membres du conseil furent remplacés par des inconnus plus fidèles à la «ligne». Quelques artistes éminents furent également exposés au feu des principaux dogmatiques du Parti. Le peintre Willi Sitte - précédemment · comblé d'honneurs officiels - fut contraint, 10. Entre autres «offenses», Hermlin avait organisé un récital de poésie à l'Académie des arts de Berlin-Est, où furent lues de nombreuses œuvres, plus tard condamnées o_fficiellementcomme étant «pleines de pessimisme, de critiques malveillantes et sans fondement et d'hostilité envers le Parti ». (Des récitals analogues eurent lieu à Halle, Iéna et Leipzig.) En mars 1963, Hermlin dut donner sa démission de membre de l'Académie des arts de l'Allemagne de l'Est. II. Neues Deutschland, 4 mars 1963~ Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE au mois de février, de publier dans le Neues Deutschland une «autocritique » où il reconnais- . sait avoir dévié de la voie du «réalisme socia- · liste ». Des attaques ont depuis été portées contre le fameux sculpteur Fritz Cremer, trop enclin· au modernisme, prouvant par là son manque de fidélité aux directives du Parti. Autre preuve du regain de dogmatisme stalinien, la récente déclaration de l'Association des artistes : visiblement inspirée par le Parti, .l'Association s'y déclare prête à collaborer avec le syndicat d'Etat (F.D.G.B.), «le syndicat pouvant, de cette façon, mieux aider les artistes à suivre la voie prescrite par le parti de la classe ouvrière », ce qui renforcera l'influence exercée sur les artistes par les «éléments les plus progressistes de la classe ouvrière » et par l' «idéologie socialiste ». Persistance du stalinisme QUANDon analyse le totalitarisme contemporain, on doute constamment de la validité actuelle des théories développées par des érudits tels que Hannah Arendt, C. J. Friedrich ou Franz Neumann, lesquelles ont longtemps prévalu. Le communisme post-stalinien ne peut plus, dit-on, être placé sur le même pied que le totalitarisme des fascistes ou des nazis. L'objection ne saurait être traitée à la légère. Après tout, les régimes communistes de Tito et de Gomulka méritent qu'on réexamine les concepts jusqu'ici bien établis du système totalitaire. Cependant, ce serait aller trop loin que de dire du communisme post-stalinien qu'il n'est plus «totalitaire», mais simplement autoritaire ou «total » dans un sens nouveau. Cette conclusion vaut tout au moins pour la «République démocratique allemande ». Certes, il ne faut pas méconnaître l'importance des modifications politiques intervenues en 1953 et 1956. Mais, malgré la détente, la condamnation du régime de terreur et la place accordée à la «légalité socialiste», la structure stalinienne du régime, personnifiée par Ulbricht et les parasites de son entourage, est toujours en place ; elle a été simplement repoussée à l'arrière-plan. Les événements du 13 août 1961 ont démontré que la terreur pouvait resurgir du jour au lendemain. Il s'agissait alors de réprimer une opposition née de la masse du peuple, aujourd'hui plutôt apathique. De leur côté, les intellectuels s'agitent, irrités de longue date par l'anti-intellectualisme primaire d'Ulbricht et consorts. Cette faible opposition, qui pourrait à vrai dire s'étendre à tout moment et gagner le reste de la population, suffit à provoquer une vive réaction de la part de la minorité stalinienne qui tient la barre, et dont la position reste des plus précaires. MARTINJANICIŒ. {Traduit de l'anglais)
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