Le Contrat Social - anno VII - n. 5 - set.-ott. 1963

M. JANICKE Situation économique BmN QUE le VIe Congrès n'ait pas modifié le caractère essentiellement stalinien de la structure du pouvoir en Allemagne de l'Est ou la composition du groupe dirigeant, il semblait présager d'importantes modifications de la politique économique du régime. On allait vers une administration plus pragmatique, moins doctrinaire de l' économie, tendance nouvelle tant en raison de sa portée que du fait que le branle avait été donné en haut lieu. Jusque-là, la poussée dans ce sens était toujours venue de l'économie elle-même, expression de la profonde résistance opposée au Léviathan bureaucratique de la planification, et elle s'était toujours heurtée à l'opposition implacable de la camarilla d'Ulbricht. « L'importance èxagérée accordée aux affaires de direction » ( Managertum), c'est-à-dire la tendance à une économie de strict rendement aux dépens des objectifs principalement idéologiques du Parti, avait coûté son poste au premier ministre adjoint, Fritz Selbmann, en 1958. De nombreux fonctionnaires et directeurs des services économiques furent révoqués pour la même raison, ainsi que des économistes de premier plan, tels que Fritz Behrens, Arne Benary et Gunter Kohlmey. Les économistes étaient accusés d'utiliser les arguments fournis par leur propre science pour affirmer la primauté des facteurs pratiques de l'économie (l'offre et la demande, l'intérêt personnel des producteurs, le facteur déterminant des frais d'exploitation dans l'établissement des prix, etc.) sur la planification politico-idéologique ·arbitraire des organismes centraux. Ils auraient voulu, dans la mesure du possible, libérer l' économie des contraintes non inhérentes à sa nature -spécifique,créer un système planifié « d'en haut» seulement dans ses grandes lignes et .fonctionnant, en gros, selon les lois du marché. Au moins dans une certaine limite, les entreprises fixeraient leurs prix en fonction de la rentabilité, prendraient les décisions relatives à la commercialisation de leur production (ou auraient voix ·au chapitre) et distribueraient à leurs employés une part des bénéfices. Les sempiternels normes de production, campagnes de productivité et appels à la « conscience socialiste» céderaient la place au stimulant de l'intérêt personnel, les contraintes administratives excessives seraient remplacées par une autogestion accrue à l'échelon inférieur. Behrens et Benary osèrent même faire valoir què ces mesures contribueraient au «· dépérissement de l'Etat », article de foi de l'idéologie marxiste. Intentionnellement, les staliniens orthodoxes ne répliquèrent pas sur le moment à l'aide d'arguments empruntés à l'économie : ils en appelèrent à l'autorité de l'idéologie traditionnelle. L'extrême violence de leur réaction traduisit la méfiance ·d'un gouvernement bureaucratique et dictatorial envers ce qui est spontané, non enrégimenté, non contrôlé ; or la position économique des « révisionnistes » est précisément_ fondée sur l'asserBib·ioteca Gino Bianco 297 tion que supprimer la spontanéité de l'économie ne peut qu'avoir de graves conséquences. Il est donc tout à fait singulier que le professeur Behrens, contraint en 1960 de faire une nouvelle autocritique de ses conceptions « révisionnistes », ait publié, à la fin de l'année dernière, dans un hebdomadaire à gros tirage 2 , un article dans lequel il souscrivait aux vues identiques professées en Union soviétique par le non-conformiste Liberman. Fait encore plus surprenant, certaines des. théories de Liberman (par exemple la thèse que ce qui est utile à la société dans son ensemble ne saurait être contraire aux intérêts de l'entreprise et de ses employés) ont trouvé un écho dans le propre rapport d'Ulbricht au VIe Congrès. Les termes mêmes en étaient identiques. Qui plus est, d'autres passages du discours du premier secrétaire ressemblent étrangement aux critiques formulées par Behrens et Benary, en 1956-57, et jadis condamnées, notamment ceci : N'allons pas croire que l'on puisse remédier à des défauts causés par la négligence des intérêts matériels du peuple en faisant appel aux sentiments moraux et à la conscience idéologique 3 • Le fait qu'Ulbricht en personne ait été, jusqu'à l'an dernier, l'un des champions de l'accroissement de la production au moyen de campagnes de propagande assorties de pressions politiques 4 , a, comme d'habitude en pareil cas, été passé sous silence. Le renversement apparent de la position d'Ulbricht mettait pourtant en jeu plus que de simples clauses de style politico-économique ; il touchait aux fondements du système économique tout entier. Selon Ulbricht, le principe de l'intérêt matériel (en réalité concession au mobile « capitaliste» de l'intérêt personnel) devait être appliqué non seulement sous la forme simple de primes individuelles de rendement, de gratifications, etc., mais aussi sous des « formes plus complexes telles que prix de vente et prix de revient, bénéfices, etc.». Or, dans ces derniers domaines, la bureaucratie économique n'avait jusqu'alors laissé presque aucune marge de manœuvre à l'entreprise, avec pour résultat la non-rentabilité, le manque d'encouragement à innover, une production fort mal adaptée aux exigences du marché et généralement médiocre en qualité et en quantité. Désormais, les autorités centrales doivent se concentrer avant tout sur les indices d'ensemble des plans et abandonner aux entreprises toutes les questions de détail. Les associations d'entreprises nationalisées ( VereinigungenVolkseigenerBetriebe, ou V.V.B.), groupes d'entreprises placés sous une direction commune et qui comptaient, en 1961, pour environ 65 % dans la production industrielle 2. Sonntag, 18 nov. 1962. 3. Neues Deutschland, 16 janv. 1963. 4. L'exemple le plus récent fut la campagne dite de mobilisation de la production, organisée après l'érection du mur de Berlin. Le slogan en était : « Produire davantage, dans le mante temps, pour un même salaire l »

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