Le Contrat Social - anno VII - n. 5 - set.-ott. 1963

• E. BALOW paraison, ~anc!ïsque les ge~~ plus âg~s ont gardé un souvenir vivace de conditions de vie meilleures et d'une existence plus digne grâce à une liberté personnelle plus grande. Le contraste entre les deux générations a surgi d~v~t nous un soir où, ét~t all~ e~tendre l'opéra Fidelio, nous avons observe les reacttons de l'auditoire pendant le « chœur des prisonniers». Les jeunes donnaient l'impression d'écouter sans émotion excessive, tandis que beaucoup de personnes plus âgées étaient profondément émues, quelquesunes luttant contre les larmes comme si les paroles du livret, exaltant la liberté et pleurant sa perte, e~primaient leurs propres sentiments. Les applaudissements qui suivirent cette scène frisaient la manifestation. Cet incident n'implique nullement que les jeunes se soient convertis au communisme. ~eau~OU:Pd'en~re eux, ~~ contraire, sont déçus et msatisfiuts. Mats leur res1stanceau régime semble fondée sur l'instinct et l'influence des parents plutôt que sur un examen critique profond, pour lequel la perspective et l'information nécessaires leur font défaut. Et comment les blâmer ? L'isolement culturel où vivent les Allemands de l'Est limite le nombre de sujets sur lesquels on peut discuter avec eux. Il est difficile, entre autres, de parler littérature, même avec de jeunes intellectuels ou écrivains. Leur connaissance de la littérature allemande contemporaine se limite, en gros, à Thomas et Heinrich Mann et à quelques écrivains communistes plus ou moins insipides; de la littérature américaine du xxe siècle, ils ne connaissent guère que Theodor Dreiser, avec une pincée de Steinbeck et d'Hemingway. Un jeune · écrivain avait lu James Joyce et s'intéressait vivement à la nouveauté de sa technique : comment avoir le courage de lui avouer que, pour nous, les expériences littéraires ne s'arrêtaient pas à Joyce ? Les Allemands de l'Est n'ont accès, bien entendu, qu'à la littérature officiellementreconnue par le régime. L'envoi de livres en zone soviétique est soumis à des restrictions sévères, à un index tenu par les autorités. (Impossible même de faire .parvenir une revue de mode occidentale.) L'isolement culturel est l'un des aspects les plus déplorables de la vie en Allemagne de l'Est et la distance qui sépare les jeunes de ce pays de leurs contemporains vivant à l'extérieur du bloc communiste ne fera que croître avec le temps, en progression géométrique. Il ne semble pas qu'il existe un moyen d'arrêter ce cours fatal. Le mur de Berlin L'I!TATD'ESPRITgénéral est un mélange de désillusion et de résignation totale, et résulte surtout de l'érection du mur de Berlin, qui a apporté de grands changements dans la vie et la façon de penser des Allemands de l'Est. Jusqu'en août 1961, un faible espoir de changement semblait subsister, et l'on essayait de maintenir une sorte de « résistance intérieure ».Au cours des premières semaines qui suivirent l'édification du mur, les gens refuBibFoteca Gino Bianco 295 saient. encore de croire que la situation puisse devenir per,~anente e~ ce fut pour eux un grand choc lorsqu ils se rendirent compte que l'isolement total é~~t dé~tif. Comme~t comprendre que les Allies occidentaux ne soient pas intervenus pour empêcher Ulbricht de sceller hermétiquement l'~em~gne de l'E~t ? A leurs yeux, BerlinOuest etait bien plus qu une enclave en territoire communiste que l'Ouest se devait de conserver pour des raisons de prestige : c'était une place forte et un havre de liberté pour dix-sept millions de gens réduits en esclavage. Berlin-Ouest avait une importance vitale, pour deux raisons : dernière voie d'évasion possible lorsque les conditions devenaient par trop insupportables ou que la sécurité personnelle était en passe d'être menacée, il offrait en même temps un dérivatif momentané ~ l'op~ression co!111l1unistp~our ceux qui pouvaient s y rendre a l'occasion. On pouvait là se mêler aux gens de l'Ouest, rencontrer ses parents et ses amis vivant de l'autre côté du rideau de fer (à qui il n'était pas permis d'entrer en «. ~épu~lique. démocratique allemande ») et participer a la vie culturelle - pièces et films, journaux et livres venus de l'Occident - et acheter des marchandises introuvables en zone soviétique. Privés de Berlin-Ouest comme dérivatif, ils sont à présent complètement à la merci d'Ulbricht. Que l'Ouest n'ait pas su garder ouvert ce dernier refuge leur donne le sentiment d'avoir été trahis. Ils sont également amers devant l'injustice de l'histoire : par suite d'un accident géographique, ils se trouvent seuls à expier pour l'Allemagne tout entière, tandis que leurs compatriotes de l'Ouest jouissent de la liberté et de la prospérité. Ils doivent subsister à un niveau de vie bien inférieur à celui d'avant guerre 2 • Pis encore, une forme de terrorisme a été simplement remplacée, après un bref intervalle, par une autre qui, quoique moins meurtrière, affecte davantage l'homme de la rue, parce qu'elle imprègne chaque instant de sa vie quotidienne. Il n'est donc pas étonnant que l'adieu à nos amis d'Allemagne orientale ait été pénible. Alors que le train s'apprêtait à démarrer, nous pouvions lire sur leur visage l'envie qu'ils nous portaient de pouvoir rejoindre le monde libre. Après avoir franchi les barbelés de la frontière et être descendu à la gare ouest-allemande, nous n?.u~ seJ.?-tîmesoulagé ~'un fardeau. Les gens d 1c1avaient une expression totalement différente de ceux que nous venions de quitter : « Ils étaient libres, ne s'en rendaient pas compte - Et considéraient le fait d'être libres comme normal.» ERICH BALOW. {Traduit de l'anglais) 2. L'Allemagne de l'Est est loin d'approcher le niveau de vie de 1937, niveau le plus élevé atteint par l'Allemagne avant la deuxième guerre mondiale.

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