294 elles. Autrement dit, si un citoyen a branché son appareil sur un programme occidental et qu'un ami ou un voisin entre chez lui, ne serait-ce que pour quelques instants, il sera automatiquement coupable, aux yeux de la loi, d'avoir répandu de la propagande anticommuniste, même s'il s'agit d'un programme de variétés ou d'une manifestation sportive. Une antenne de télévision peut trahir son propriétaire, car on voit au premier coup d'œil dans quelle direction l'antenne est orientée. Les journaux locaux dénoncent Monsieur Untel, demeurant à telle adresse, dont l'antenne est disposée de façon à recevoir les stations occidentales. La presse fait également état des activités de la F.D.J. (Freie Deutsche Jugend, organisation de la jeunesse communiste), dont des équipes grimpent sur les toits pour «ajuster» les antennes dans la bonne direction. Pour mettre un nouvel obstacle à la réception des programmes occidentaux, même chez soi, en famille, les autorités scolaires exigent des parents qu'ils s'engagent par écrit à ne pas permettre à leurs enfants d'être contaminés de la sorte. Les parents qui enfreignent cette règle le font à leurs risques et périls, car si les adultes sont rompus au « double-penser » politique, les enfants peuvent fort bien se trahir tôt ou tard. Il est arrivé, par exemple, à des enfants auxquels on demandait en classe de dessin de reproduire l'horloge qui apparaît sur l'écran avant chaque journal télévisé, de dessiner sans y penser celle qu'ils avaient l'habitude de voir au programme de la République fédérale, qui, elle, n'est pas agrémentée d'une légende politique. L'exiguïté des appartements permet d'ailleurs difficilement d'écouter des émissions étrangères sans que les enfants soient présents. Cependant les gens sont prêts à courir le risque de commettre un délit politique afin de se cramponner au seul lien qui les rattache à la vie dans une société libre, lien d'autant plus précieux que grâce à lui on peut entendre les nouvelles, les commentaires sur l'actualité, les échos d'un monde qui, autrement, serait complètement inaccessible. Nombre d'Allemands de l'Est sont mieux renseignés sur la situation politique en Occident et s'intéressent davantage à la politique en général que leurs cousins de la République fédérale ; le bulletin d'informations du soir émanant des stations d'Allemagne de l'Ouest, de Grande-Bretagne et des Etats-Unis est un événement quotidien d'importance pour beaucoup d'entre eux. Les programmes de la télévision ouest-allemande sont également fort prisés en raison des distractions de nature non politique qu'ils offrent, y compris des films et des programmes américains transmis des Etats-Unis par le satellite Telstar. Nombreuses sont les ménagères qui préféreraient infiniment regarder la reine Elizabeth ou « J ack.ie » · Kennedy plutôt que de subir un programme consacré aux exploits des « héros du travail » ou à une ferme collective qui a battu son propre record d'élevage de gorets. La publicité ·elle-même intéresse, car elle vante souvent des produits nouveaux dont les AlleBiblioteca Gino Bianco~~-- L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE mands de l'Est n'entendraient autrement jamais parler. La seule émission télévisée en provenance · d'Allemagne fédérale à passer sur les écrans d'Allemagne orientale est une émission hebdo- · madaire «montée » par le propagandiste Karl Eduard von Schnitzler 1 : elle est faite pour_ rebuter les auditeurs de programmes occidentaux. Intitulée Der schwarze Kanal (« le Réseau noir », « noir » qualifiant l'Allemagne fédérale), elle présente des coupures de programmes ouestallemands effrontément isolées de leur contexte originel, par exemple les réponses d'une pe_rsonnalité politique ouest-allemande lors d'une interview, assorties de commentaires truqués par von Schnitzler. Les programmes de musique occidentaux font fureur auprès des jeunes, qui déplorent l'absence de musique de danse moderne et de jazz dans les programmes des stations communistes, lesquelles ne doivent consacrer qu'une faible partie de leurs émissions à la musique « occidentale ». Les journaux publient d'innombrables « lettres â' auditeurs » et controverses sur la question de savoir s'il est moral d'écouter les programmes musicaux émis par des stations d'Allemagne occidentale : la conclusion habituelle est que la musique de Beethoven, si elle est émise par une station ouest-allemande, est une chose pernicieuse pour une oreille d'Allemagne de l'Est. Un moyen parfaitement légal d'étancher sa soif de musique de danse consiste à capter l' « émetteur de la liberté » ( Freiheitssender) qui prétend appartenir à la « résistance » d'Allemagne occidentale, mais qui se trouve, en réalité, en zone soviétique. Il est permis à ce poste d'admettre sans restriction Louis Armstrong, Elvis Presley et les derniers succès du jazz occidental à ses programmes, lourdement entrelardés de propagande et de « nouvelles » de la « résistance » communiste. Effets· 'de l'isolement COUPÉSdu monde extérieur, les citoyens de la « République démocratique » accueillent le visiteur venu de l'Ouest avec gratitude. En dépit des difficultés de leur vie journalière, ils font de leur mieux pour assurer le confort de leur hôte, même au prix de sacrifices personnels, s'excusant constamment des limites imposées à leur hospitalité. Le visiteur a parfois, de son côté, le sentiment gênant d'être traité comme un personnage de marque, tout ce qui vient de l'Ouest étant considéré ici comme supérieur par définition. Il existe une différence marquée entre l'optique des plus de trente ans et celledes gens appartenant à la jeune génération. Ceux-ci ont grandi sous le régime actuel et ne semblent pas avoir une conception bien réelle de la vie au-delà des frontières de leur pays ; ils ne disposent pas d'une base de comt. Von Schnitzler, issu d'une famille de banquiers de Cologne, est un transfuge d'Allemagne de l'Ouest. Avant de · passer à l'Est, il avait collaboré au journal Die Neue Zeitung.
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==