B. BALOW ' petite réparation ou un seau de ménage est tout une aventure. La ménagère commence sa journée en faisant la queue pour le lait à sept heures du matin ; ensuite, elle se précipite chez l'épicier où elle sera encore obligée d'attendre longtemps, les fruits et légumes n'arrivant que vers onze heures ou midi. Mais à moins d'être parmi les premiers, on a très peu de chances d'obtenir des produits particulièrement recherchés tels que les choux de Bruxelles, les choux-fleurs ou les pommes. A quelques exceptions près, l'Allemagne orientale dépend, pour les fruits et légumes, de sa propre production, laquelle est notoirement insuffisante. .Ayant un jour aperçu en vitrine des pamplemousses importés qui ne semblaient pas attirer le chaland, nous avons constaté qu'ils coûtaient 1,40 mark pièce, soit environ 1,40 dollar aux Etats-Unis si l'on tient compte du rapport entre les revenus moyens. Après le déjeuner, la ménagère devra refaire la queue chez l'épicier afin de toucher la ration de beurre familiale. Le beurre n'est mis en vente que certains jours, par exemple le mardi et le jeudi à trois heures de l'après-midi. La ménagère fera bien d'y être une demi-heure ou une heure à l'avance, sinon le stock risque d'être épuisé avant que son tour n'arrive. Une autre course l'amènera chez le boucher où, par exemple, le bœuf n'est vendu que le mercredi matin, le porc le vendredi après-midi et les viandes froides un autre jour. (Toutes les boucheries sont gérées par l'Etat. Les seuls magasins alimentaires non encore étatisés sont quelques épiceries, très désavantagées par rapport aux magasins de l'Etat, qui ont la préférence quand il s'agit de répartir·des denrées rares.) · Depuis l'été dernier, la viande est de nouveau rationnée, comme l'est toujours le beurre. Le consommateur ne reçoit pas de cartes de rationnement à proprement parler, mais une carte d'inscription lui permettant de s'inscrire chez un boucher ou un épicier où il devra acheter sa viande et son beurre. Alors qu'un coupon sur une carte de rationnement donne droit à une quantité déterminée, la simple inscription permet uniquement au consommateur d'acheter des produits au moment où ils sont disponibles et dans la mesure où ils le sont. Il n'y a donc pas de rations fixes. Durant notre séjour, le beurre était distribué à raison d'environ une demi-livre par personne tous les dix jours (la margarine étant parfaitement immangeable). La situation était tout aussi mauvaise en ce qui concerne la viande, et l'approvisionnement encore plus irrégulier. De surcroît, une personne qui part en voyage de sa propre initiative constate qu'elle ne peut obtenir de produits rationnés qu'à son lieu de résidence. Si les achats de denrées alimentaires constituent pourla ménagère une corvée journalière épuisante et décevante, le problème des services n'est pas moins compliqué. Prenons le blanchissage. Un jour, nous re~arquâmes ll!1 attroupell?-e.ntdevant un immeuble,• chacun etant mysteneusement chargé de sacs et corbeilles pleins de linge. Un avis fixé au mur disait : « Le linge à blanchir sera ramassé ici, vendredi, à 14 _h 30. » Un camion Bibroteca Gino s·anco 293 s'arrêta; le chauffeur distribua des sacs à lessive dans lesquels les gens mirent leur linge sale en demeurant sur le trottoir, et les rendirent au chauffeur. Deux ou trois semaines plus tard, ces personnes devraient guetter l'apparition d'un autre avis leur indiquant le jour et l'heure de l'opération inverse, le linge blanchi leur étant rapporté au point où le ramassage avait eu lieu. Un coup de chance risque de ne pas en être un en Allemagne orientale. L'une des personnes que nous rencontrâmes était l'heureuse gagnante de plusieurs milliers de marks à la loterie d'Etat. Le jour où elle toucha l'argent, elle se rua sur les magasins - pour rentrer bredouille quelques heures plus tard : les gros achats qu'elle avait prévus dans le feu de son exaltation exigeaient de longs délais de livraison, pour acheter d'aut~es articles il lui aurait fallu fouiller les magasms plusieurs jours de suite. Certes, ces difficultés et ces contrariétés matérielles sont une source d'irritation, mais elles ne constituent pas le principal fard~au q~ _pèse sur l'esprit des gens. Le chef du Parti et president du Conseil d'Etat, Walter Ulbricht, dont le portrait au regard fixe est constamment braqué sur ses sujets par la voie des affiches, des journaux et des timbres, maintient son régime de terreur incessante. Une atmosphère de méfiance, même de son propre voisin, de crainte et de résignation, règne partout. Les espions d'Ulbricht étant omniprésents, les gens qui font la queue pendant des heures n'osent même pas se plaindre ou critiquer la pé_nurie de denrées alimen!aires ; ils attendent simplement leur tour, docil~s et silencieux. Dans les restaurants, nos amis se taisaient chaque fois qu'un garçon s'approchait de notre table. Un soir que nous dansion~ ~ans un café avec une jeune fille que nous connaissions depuis longtemps, nous lui _fîmes remarq~er, d'une voix que les couples qut nous entoura!ent auraient fort bien pu entendre, que nous avions dansé ensemble à Berlin-Ouest deux ans auparavant. Elle pâlit subitement et regarda nerveusement autour d'elle : avant ce voyage, elle avait dû s'engager par écrit, à son lieu de travail, à ne pas mettre les pieds à Berlin-Ouest. La fuite par les ·ondes LES ALLEMANDdSe l'Est étant maintenant privés de toute voie d'accès à l'Ouest, il leur reste la télévision et la radio. Les programmes d'Allemagne de l'Ouest et d'Europe occidentale ont beaucoup de succès, mais doivent être reçus clandestinement. Afin de mettre un terme à cette pratique sans l'interdire ·formellement - ce qui serait contraire à la lettre de la « Constitution » - le code d'Ulbricht stipule que la réception des émissions occidentales sera considérée comme propagande anticommuniste, par conséquent comme un délit, si une autre personne est présente, o~ encore si quelque renseignement ou co~me~- taire provenant de ces programmes est Jamais mentionné à d'autres personnes ou discuté avec
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