290 de travail forcé, décimation périodique de l'élite gouvernante par des arrestations et des exécutions, réglementation absurde des moindres recoins de la vie) se révélèrent anti-économiques et politiquement inaptes à assurer la croissance de la société soviétique. Vers la fin de l'ère stalinienne, ·et même avant dans certains domaines, l'Union soviétique avait atteint un niveau de développement industriel et social nécessitant des méthodes plus subtiles de gouvernement et, d'autre part, des hommes capables d'initiative et persom1ellement incités à résoudre des problèmes nouveaux fort complexes. Il fallait de toute évidence, pour que la société soviétique continue de progresser, libérer le Parti et la bureaucratie d'Etat, le corps des officiers, l'intelligentsia, ainsi que les ouvriers et les kolkhoziens, de la peur qui les paralysait ; il fallait assurer à tous un minimum de sécurité individuelle et donner à chacun l'occasion de prendre des initiatives personnelles. Le besoin immédiat des réformes post-staliniennes naquit de la situation telle qu'elle se présentait dans les derniers mois de Staline. La jdanovchtchina (1946-48) et les diverses « affaires » des années d'après guerre (affaire de Léningrad, 1949-50; affaire de Crimée, 1950 ; affairê de Mingrélie, 1951-52) ne constituaient dans l'esprit de Staline, comme on l'apprit au XIXe Congrès (octobre 1952), que les prémisses à une nouvelle hécatombe. La brusque intensification de la campagne de « vigilance » et d'épuration .dans les dernières semaines de 1952 et le «complot des blouses blanches » (mi-janvier 1953) signifiaient à coup sûr, pour des milliers de fonctionnaires comme pour les gros bonnets, une menace à leur propre vie. C'est pourquoi, dès la mort du tyran, les dirigeants s'empressèrent de mettre un terme à l'épuration, et entreprirent de rogner fortement les pouvoirs exhorbitants de la police politique, afin de créer, selon les termes d'une proclamation d'avril 1953, des conditions permettant au peuple de travailler « en paix et en toute sécurité ». Ces premières mesures, prises pour leur propre sauvegarde, furent, pour les héritiers, les premiers pas vers la répudiation de Staline. Après quoi, pressés par la nécessité, ils durent attaquer les problèmes essentiels et les contradictions les plus criantes du règne du despote. Il fallait en finir avec des pratiques dépassées, sans pour autant saper les traits fondamentaux du système communiste, non plus que leur propre pouvoir. Inévi- . tablement, des conflits et des controverses surgirent à la fois à propos de la «ligne générale », - c'est-à-dire le rythme, la portée et les méthodes du processus de déstalinisation - et de l'attribution du pouvoir suprême (impliquant essentiellement les rapports entre le Parti, l'Etat et l'armée) - c'est-à-dire la question de savoir qui contrôlerait ce processus. A leur tour, ces controverses amenèrent les divers appareils et dirigeants à chercher un appui à leur «ligne » parmi les fonctionnaires du Parti et de l'Etat, et même à en appeler au peuple tout entier. C'est ainsi que des forces nouvelles entrèrent en lice. Au sommet, chaque reniement de tel aspect Biblioteca Gino Bianco--- -- L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE particulier de l'ère stalinienne soulevait une nouvelle série de problèmes qui appelaient de nouvelles réformes, jusqu'à ce que finalement le point fût atteint où il ne suffisait plus de traiter Staline par le silence ; il devint nécessaire de le critiquer, de le dénoncer au grand jour, afin de pouvoir faire un net départ entre le présent et le passé. La déstalinisation n'eut donc ·rien d'un processus soigneusement prévu à l'avance, mais fut, à bien des égards, µne suite de réactions, de la part des dirigeants, aux exigences politiques et administratives en évolution constante. Là réside également l'explication des zigzags et des fréquentes alternances d'avance et de recul qui caractérisent la déstalinisation. Cette évolution politique, au cours si heurté, n'a présenté qu'un trait constant: les dirigeants n'ont jamais dévié de la politique qui consiste à mener la guerre sur deux fronts : d'un côté, contre les forces réactionnaires post-staliniennes (« dogmatistes » et « conservateurs ») qui voulaient s'en tenir aux vieilles méthodes de Staline et s'opposaient aux réformes; de l'autre, contre ceux («libéraux pourris », « révisionnistes ») qui voulaient que Staline fût radicalement répudié, qui voulaient que la déstalinisation fût plus rapide et plus profonde que ne le souhaitaient les détenteurs du pouvoir. Suivant les circonstances, les coups ont été portés à l'un ou à l'autre de ces groupes, mais la direction du Parti a constamment mis en garde contre les «dangers» venant des deux côtés, et a combattu les deux « déviations ». L'important est qu'elle ait impqsé son point de vue sur les questions essentielles, tenant ainsi la barre bien en main à travers les vagues de la déstalinisation. L'avenir montrera sans doute que les changements survenus pendant la première décennie poststalinienne sont bien plus que des corrections de détail. Qu'il y ait eu, même sous Staline, des périodes «molles » et des périodes « dures » ne constitue pas un argument d'analogie. D'autre part, le pouvoir exercé par les dirigeants et l'appareil du .Parti sur tous les aspects de la vie est encore trop absolu pour que l'évolution puisse être qualifiée de «libéralisation» ou de « démocratisation». Un retour aux méthodes staHniennes n'est rien moins que probable, sans qu'on puisse cependant l'écarter d'emblée. Bref, alors que la plupart des traits fondamen- !aux de l' ancie~ système politique demeurent mtacts, des réformes importantes ont modifié les rapports qe puissance aussi bien que les méthodes de gouvernement. · L'une des deux tendances fondamentales de cette évolution est la modernisation du communisme soviétique, destinée à résoudre les «contradictions inutiles » léguées par Staline et à adapter · la «superstructure» existante aux réalités de la société industrielle. L'autre tendance est l'effort, jusqu'à présent couronné de succès, entrepris par la direction du Parti pour conserver son pouvoir absolu, en maintenant tous les amendements nécessairès dans les limites du système. I WOLFGANG LEONHARD. {Traduit de l'anglais)
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