W. LEONHARD «socialisme» était réalisé à cette époque en Union soviétique, les vaticinations sur les «forces motrices » et l' «unité morale et politique » de la société soviétique, l'affirmation des « contradictions non antagoniques» (face aux « contradictions antagoniques » du capitalisme), sont toujours en vigueur, à cette différence près que personne ne rappelle aujourd'hui que Staline en était l'auteur. Outre plusieurs révisions importantes de formulations traditionnelles dans les domaines de la philosophie, de l'économie et des affaires étrangères, certaines propositions staliniennes majeures ayant trait à la politique intérieure ont subi des révisions de grande portée. Ainsi, la thèse de . l'«encerclement capitaliste »est considérée comme « désuète » depuis le printemps de 1958. L'intensification de la lutte de classe allant de pair avec l'évolution du «socialisme», vérité révélée par Staline en mars 1937 et qui lui servit à justifier idéologiquement la grande épuration des années 30, puis la terreur qui suivit la deuxième guerre mondiale, est aujourd'hui tenue non seulement pour « caduque », mais de plus pour franchement erronée. En 1959, les maîtres à penser ont également déclaré inadmissible la terminologie militaire à laquelle Staline avait souvent recours pour exposer les problèmes politiques (pratique reprise de nos jours par les idéologues du P.C. chinois). En même temps qu'à certaines parties de la doctrine stalinienne étaient substituées de nouvelles thèses, mieux adaptées aux buts des dirigeants actuels, la façon de présenter les sujets doctrinaux subissait une évolution. Le Précis de l'histoire du Parti, qui, sous Staline, avait tout supplanté, a fait place à un exposé plus détaillé: les nouveaux manuels idéologiques, entre autres les Fondements de la philosophie marxiste, l' Economie politique et les Fondements du marxismeléninisme (première tentative pour réunir toute la doctrine en un seul ouvrage), sont encore imprégnés de dogmatisme, mais le ton est moins péremptoire, l'analyse et la démonstration y trouvent davantage leur place. Ce qui est plus important, · on y fait certaines concessions à la réalité contemporaine et aux récentes découvertes en sociologie, en économique et en science politique. La terminologie appliquée aux non-conformistes politiques a été quelque peu édulcorée : il n'est plus guère fait usage de gracieusetés telles que cc chacals », «hyènes », « requins », cc loups », « chiens bâtards », « pygmées », « rats visqueux » et autres « vipères lubriques » ; naguère « espions », Trotski, Boukharine et leurs partisans ne sont plus que des « ennemis du Parti». Dans le même ordre d'idée, conformément à l'intérêt croissant porté à l'activité économique pratique, une foule de détails technico-économiques sont maintenant partie intégrante de l'idéologie. Enfin, en vertu des fréquents tournants politiques, les thèses idéologiques ne sont plus, comme elles l'étaient sous Staline, valides pour une longue période. Les livres didactiques eux-mêmes, dépassés au bout de deux ou trois ans, font place à de nouvelles éditionsentièrementrévisées. Bibiioteca Gino Bianco 289 L'événement de première grandeur en matière d'id~ologie est cependant le déboulonnage de Staline : de son piédestal de marxiste-léniniste infaillible et de « coryphée de la science », il a été ramené aux dimensions d'un dirigeant du Parti et d'un homme d'Etat parmi d'autres, coupable de nombreuses erreurs et de pas mal de crimes. Les principales cibles de cette critique, souvent intéressée et partiale, ont été le « culte de la personnalité », les monstruosités commises pendant la grande épuration et autres «violations de la légalité socialiste », ses bévues militaires pendant la guerre, les erreurs d'interprétation dans ses œuvres théoriques, sa politique erronée en matière d'économie, de culture et de nationalités, son isolement du peuple et, tout récemment, la collectivisation forcée de l'agriculture. Ce faisa~t, !es maîtres_~u Kremlin avaient u_ntriple obJectif: 1. se liberer du fardeau constitué par l'héritage de Staline ; 2. r_éaliserdes réformes qui contrebattent la politique et les doctrines staliniennes; 3. se ménager une meilleure position pour faire pièce aux forces dogmatiques tant en U.R.S.S. que dans les différentes filiales communistes à l'étranger. En même temps, les nouveaux dirigeants se sont appliqués, dès l'origine de la campagne antistalinienne, à bien distinguer les crimes et « bévues » de Staline, de la politique « correcte »du parti communiste soviétique (dirigé par Staline, soit dit en passant, pendant trente et un ans, de 1922 à sa mort); tentative qui s'est soldée par un échec patent. Les plus fidèles communistes eux-mêmes furent encouragés par les révélations de Khrouchtchev à réfléchir de manière critique sur le passé et sur l'avenir. La thèse de l'« infaillibilité» du Parti a reçu un coup dont elle aura du mal à se relever. Tous ces facteurs ont eu pour résultat de réduire le rôle de l'idéologie ; les dirigeants du Parti n'ont plus la possibilité de téléguider la pensée de millions d'hommes. Conclusions • CE BREF RÉSUMÉ de l'évolution post-salinienne dans les principaux secteurs de la politique intérieure soulève plusieurs questions d'importance. Par quoi les _changements exposés ci-dessus ont-ils ·été dictés ? Quelle est leur portée, quelles sont leurs limites possibles ? Il faut d'abord faire le départ entre les causes profondes qui ont rendu nécessaires les réformes et les raisons plus immédiates qu'on a eu de les appliquer. Les premières doivent être recherchées avant tout dans les contradictions du stalinisme en tant que méthode de gouvernement. Ce système, instauré par Staline et ses sectateurs à la fin des années 20 et au début des années 30, avait pour objectif essentiel l'industrialisation par la coercition et la terreur, la transformation d'un pays agraire arriéré en un Etat industriel moderne. Or, plus !'U.R.S.S. se rapprochait du but, plus le système devenait incompatible avec les exigences d'une société industrielle naissante. Les méthodes staliniennes (terreur policière, camps
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==