W. LEONHARD La mentalité du fonctionnaire du Parti est donc en train de changer : l'apparatchik entêté et brutal de l'ère stalinienne se métamorphose en un administrateur moderne, capable de résoudre les problèmes techniques et économiques et de « remplir » les normes, en même temps qu'il sait tenir compte des sentiments politiques des citoyens. Cette nouvelle optique transparaît dans la composition de la haute direction du Parti. Pour la première fois depuis la révolution, près de la moitié des membres du Présidium sont diplômés des instituts techniques et ont travaillé comme techniciens avant que ne commence leur carrière dans l'appareil. Au Présidium, les mutations s'opèrent d'ailleurs · d'une manière plus civilisée que naguère: perdre son poste ne signifie plus être arrêté ou exécuté. De tous les membres du Présidium destitués depuis la mort de Staline, un seul, Béria, a été fusillé (en décembre 1953). Dans les cinq années qui suivirent (1953-58), les vaincus étaient encore l'objet de violentes attaques (Malenkov, Molotov, Kaganovitch, Chépilov, le maréchal Joukov, Boulganine), certains d'entre eux étant même contraints de s'humilier et d'en venir à l'autocritique publique ; mais aucun ne fut privé de liberté. Récemment, plusieurs dirigeants ont été écartés (Kiritchenko, Fourtséva, Moukhitdinov, lgnatov et Aristov) sans pour cela être diffamés politiquement. Le système de rotation annoncé dans le nouveau programme et les nouveaux statuts du Parti, qui promettent un renouvellement périodique des divers organismes, laissent présager que les changements de personnel pourraient désormais s'effectuer « en douceur», sans convulsions politiques (à l'exception possible d'une nouvelle lutte pour la succession). Le modus operandi des dirigeants a, lui aussi, quelque peu évolué. Contrairement à l'~cienne pratique, Présidium et Comité central se réunissent à présent conformément aux statuts, et le Comité central, quoique restant subordonné au Présidium, a acquis du poids. L'atmosphère de secret qui entourait les diri- . geants s'est en partie dissipée. Si toutes les décisions ne sont pas rendues publiques, les membres du Parti et la population sont bien mieux informés de l'activité gouvernementale qu'il y a dix ans. Bref, les citoyens soviétiques ont droit aujourd'hui à un peu plus de considération. Le ton des oukazes du Parti est encore souvent dur et dogmatique, mais en comparaison avec le passé stalinien, le gouvernement explicite quelque peu sa politique et les décisions prises en haut lieu sont annoncées sur un mode moins dictatorial. Les rapports personnels entre dirigeants et dirigés ne sont plus tout à fait les mêmes. Sous Staline, les dirigeants se cantonnaient dans un isolement hautain ; aujourd'hui, ils parcourent le pays en tout sens, se mêlent aux fonctionnaires moyens et petits, participent à des conférences locales, visitent des kolkhozes et des entreprises industrielles, frayent avec des étrangers de tout poil, à Moscou et même hors des frontières. Bib·ioteca Gino Bianco 287 Politique sociale et problème des nationalités CONTRAIREMENT à ce qui se passe dans le domaine politique, en matière de bien-être social, la plupart des traits fondamentaux de la politique stalinienne ont été conservés. La primauté de l'industrie lourde représente toujours la ligne générale, malgré certains adoucissements. Dans l'ensemble, le niveau de vie est encore de beaucoup inférieur à celui des autres pays industrialisés. Les syndicats continuent d'être des appendices de l'appareil du Parti, et non des organisations indépendantes. Bref, en Union soviétique, les travailleurs restent aujourd'hui aussi éloignés que sous Staline de l'administration autonome de leurs propres affaires, ce qui, selon Marx et Engels, constitue pourtant le critère décisif d'une société socialiste. Les choses ne sont cependant pas restées absolument identiques. En fait, la priorité de l'industrie lourde dans le plan d'investissement a été profondément altérée par de fréquentes entorses au principe sacro-saint, par divers « programmes de biens de consommation » et par une incessante foire <l'empoigne pour l'obtention des crédits. L'indifférence totale pour la production des_biens de consommation, qui était la marque de l'époque stalinienne, n'est plus de mise aujourd'hui : si les besoins du consommateur sont loin d'être satisfaits, on en tient bien davantage compte. Autre progrès, la croissance des salaires réels des ouvriers industriels et des revenus paysans pendant la dernière décennie. L'octroi de salaires minimaux garantis et la réduction de la journée de travail, l'abrogation de la draconienne « loi des vingt minutes» (suivant laquelle un employé arrivant avec plus de vingt minutes de retard pouvait être condamné à une tâche forcée à son lieu de travail pour une période allant jusqu'à six mois et avec une réduction de salaire de 25 %), le droit de nouveau reconnu de changer d'emploi, la récente réglementation concernant la protection du travail et l'hygiène dans l'industrie, lesnouvelles lois sur la retraite, l'intensification de la'construction de logements - tout cela témoigne:également de tendances nouvelles dans la politique sociale de l'ère post-stalinienne. Les syndicats qui, sous Staline, n'avaient d'autre raison d'être que d'inciter les ouvriers à augmenter la · production, conservent certes ce caractère, mais ils sont davantage à même de défendre les intérêts des salariés.Les comités syndicaux d'entreprise sont aujourd'hui bien plus prompts que du temps de Staline à faire observer les règlements concernant la protection du travail et l'hygiène. Les fonctionnaires de direction qui ne remplissent pas leurs obligations et violent les lois du travail peuvent être appelés à rendre des comptes. Les directeurs ne peuvent licencier des employés, fixer des taux de salaire ou des niveaux de production sans l'assentiment des syndicats, lesquels ont, plus qu'auparavant, voix au chapitre dans la nomination du personnel de surveillance et de direction. On commence à discerneruu changementdans
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