Le Contrat Social - anno VII - n. 5 - set.-ott. 1963

286 qu'il n'est pas question pour lui d'exprimer ses propres opinions politiques dans la presse, à la radio ou dans des réunions publiques. Il est de son devoir non seulement d'approuver le programme de la direction du Parti, mais aussi de contribuer à le mettre en application. Cependant, aussi importantes que ces caractéristiques staliniennes du présent système sont les méthodes et les formes de surveillance politique récemment instituées. La différence capitale est qu'il n'est plus fait usage de la terreur de masse, rouage essentiel du système de Staline. La police, crainte et détestée de tous, grâce à laquelle Staline tenait sous sa coupe tous les noyaux de pouvoir dans l'Etat, y compris le Parti et ses principales figures, a été considérablement limitée dans ses fonctions et soumise à la surveillance du Parti. La mise au pas de la police s'est accompagnée d'une critique ouverte des organes de sécurité, dont nombre d'anciens dirigeants ont été traînés en justice. En même temps, de nombreuses victimes de la terreur stalinienne étaient remises en liberté, quelques-unes réhabilitées à titre posthume. Divers crimes de l'ère stalinienne ont été formellement condamnés et d'importantes réformes du code pénal introduites. Certes, tout cela ne rend pas impossible un retour à la terreur; mais cela est devenu beaucoup plus difficile. Les récentes réformes représentent une transition entre le despotisme sans aucun contrôle d'un dictateur et une forme nouvelle de dictature du Parti, lequel, quoique fort éloigné des normes d'un Etat soumis à la loi commune, peut néanmoins s'efforcer de s'engager sur cette voie dans certains domaines. En tout cas, depuis dix ans on a pratiquement renoncé aux brutales mesures de coercition appliquées par Staline - généralement sous la forme d'arrestations massives - pour intimider la population et mener à bien ses plans d'industrialisation. Les dirigeants actuels n'y ont recours que dans la mesure où ils les considèrent comme indispensables pour tenir en main le peuple. · Autre évolution depuis la mort de Staline, le rôle nouveau joué par la couche dirigeante, terme par lequel nous entendons les groupes occupant une position sociale bien au-dessus des gens du commun, sans appartenir pour autant aux instances suprêmes : la « couche dirigeante » comprend les directeurs et ingénieurs en chef des grandes entreprises, les maréchaux et amiraux, les hauts fonctionnaires des administrations cen- .trales et des différentes Républiques, les secrétaires régionaux du Parti, les rédacteurs en chef des revues et journaux importants, les savants, juristes et artistes-éminents. Naguère privé de droits et menacé à chaque instant d'arrestation, tout ce monde jouit à présent d'une certaine sécurité et a commencé de jouer un rôle politique autonome qui ne fait que s'accroître. Il lui est désormais possible d'exprimer son point de vue et parfois - quoique dans des limites encore assez étroites - d'influencer la politique du régime. Tel est en partie le résultat d'une pratique qui Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE consiste, pour les grands dirigeants, à consulter de plus en plus fréquemment les spécialistes, autrement dit les membres de la couche dirigeante, avant de prendre une décision politique"d' 'importance. C'est ainsi qu'un groupe d'éducateurs . · influents a été en mesure d'édulcorer la réforme scolaire telle qu'elle avait été proposée à l'origine par Khrouchtcpev. Autre _illustration dù n?uveau climat : la tolerance relative envers les artistes et écrivains non conformistes. Appareil et dirigeants PARALLÈLEMEaNuTdéclin de la terreur et à la montée de l'intelligentsia, le rôle et les méthodes d'action du parti communiste ont évolué. Durant l'ère stalinienne, l'appareil du Parti n'était qu'un des piliers du système, les autres étant la police secrète, l'armée, les organes de l'administration et la bureaucratie économique. Certes, la police et le Parti tenaient le haut du pavé, mais ni cellelà ni celui-ci, et plus spécialement ce dernier, ne pouvait prétendre au monopole. Or, depuis la mort de Staline, à l'issue d'une série de luttes pour le pouvoir, les anciens piliers du système ont été, sans exception, subordonnés au Parti. L'accroissement des responsabilités de l'appareil, particulièrement en matière économique, a déjà eu des conséquences notables. Les conflits qui opposaient naguère les différents centres de pouvoir se déroulent aujourd'hui à l'intérieur dudit appareil, mettant aux prises les services politicoidéologiques et les services économiques, ou encore les fonctionnaires « économiques » entre eux (en particulier les spécialistes de l'industrie et ceux de l'agriculture). De plus, les réformes et réorganisations poststaliniennes, ainsi que les fréquents tournants de la ligne du Parti, ont engendré une plus grande différenciation des opinions dans l'appareil. La portée et le rythme de la déstalinisation constituent assurément le sujet le plus controversé, l'éventail des opinions allant d'une aile conservatrice, prostalinienne (<<dogmatique»), à une tendance réformiste qui souhaite que l'héritage de Staline soit répudié plus nettement et plus rapidement. Pareilles controverses s'imbriquent souvent avec des luttes d'influence dans les différents centres régionaux (Léningrad, Ukraine, etc.). Les tâches accrues de l'appareil dans le domaine économique ont rehaussé l'importance des qualifications professionnelles des fonctionnaires du Parti. En témoignent les modifications dails la formation des apparatchiki: depuis le printemps de 1956, les écoles de quatre ans du Parti, ·au nombre de vingt-neuf, ont réduit à 40 % le pro- .gramme consacré à l'idéologie, la part du lion, _soit 60 %, étant répartie entre vingt-deux cours d'économie appliquée. On exige des étudiants des connaissances économiques et techniques et le« sens du nouveau» (c'est-à-dire l'empressement à accepter les réformes), outre le dévouement, la rigueur, la fermeté idéologique, la fidélitéabsolue envers les dirigeants. Le militant doit se rendre populaire et comprendre l'état d'esprit des masses.

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