Le Contrat Social - anno VII - n. 5 - set.-ott. 1963

K. PAPAIOANNOU le développement de l'humanité», et cette époque était loin d'être révolue. Le pays ne souffrait pas des excès, mais de l'absence d'une bureaucratie rationnellement organisée. Tel n'était pas l'avis des militants bolchéviks que leur travail ou leur activité syndicale mettaient tous les jours en contact avec la classe ouvrière. L'Opposition ouvrière RASSEMBLÉS dans la fraction dite de !'Opposition ouvrière, les principaux militants communistes du syndicat des ouvriers métallurgistes (le plus combattif des syndicats russes), et du syndicat des mineurs, étaient les seuls - avec les menchéviks - à exprimer les doléances du prolétariat industriel. Pour eux, le rejet de la gestion collective avait vidé le régime de l'« essentiel du communisme », restauré l'« autocratie du capital » et ramené les ouvriers à leur ancienne passivité. Ecoutons Alexandra Kollontaï : Les ouvriers demandent : qui sommes-nous ? Sommes-nous réellement la base de la dictature de classe ou seulement un troupeau docile qui sert à soutenir ceux qui, après avoir coupé tous leurs liens avec les masses, appliquent leur propre politique et développent l'industrie sous le couvert assuré de la marque du parti sans se soucier de nos opinions, ni de nos possibilités créatrices 29 ? L'Opposition ouvrière rappelait que le programme du parti prescrivait aux syndicats de «parvenir à concentrer effectivement entre leurs mains la direction de toute l'économie nationale, considérée comme un ensemble économique .unique ». Elle ajoutait que « la participation des syndicats et des larges masses qu'ils initient à la gestion de l'économie, constitue, en même temps, le moyen principal pour lutter contre la bureaucratisation de l'appareil économique du pouvoir des soviets, et permet d'instaurer un véritable contrôle du peuple sur les résultats de la production». Le parti, les soviets et l'organisation économique auraient dû être rigoureusement séparés ; un organisme central, élu par le « congrès des ·producteurs de Russie», aurait dirigé l'ensemble de l'économie nationale tandis que, dans chacune des entreprises, la direction aurait été confiée à un comité ouvrier relevant uniquement de l'organisme syndical hiérarchiquement supérieur. Si le parti ajournait continuellement la réalisation de son propre programme (« dans vingt-cinq siècles... », disait ironiquement Chliapnikov), c'était parce qu'il avait perdu sa base prolétarienne (selon Alexandra J(ollontaï, il n'y avait guère plus de 17 % d'ouvriers aux postes-clés) et s'appuyait principalement sur lesprofessionnels de la politique. De plus, il «faisait la chasse aux hérésies » et étouffait l'initiative et la libre discussion. Il fallait donc épurer le parti de ses éléments non prolétariens et rétablir des mœurs plus démocratiques 30 • Il fallait, en outre, rendre 29. A. Kollontaï : L'Opposition ouvrière, 1921 (éd. américaine, p. 23). 30. Cf. Lénine : XXXII, pp. 61, 207, 2n. Bibl·ioteca Gino Bianco 281 obligatoire le travail manuel pour tous les membres du parti, du sommet à la base, trois mois par an, sauf en cas d'exemption médicale. Ainsi le parti retrouverait son âme prolétarienne et rétablirait le contact perdu avec les masses. Critiqué avec acharnement par une fraction qui rassemblait une grande partie, sinon la majorité des éléments ouvriers du parti, placé devant l'échec irrémédiable de son propre programme., condamné à se renier pour conserver le pouvoir face aux émeutes et aux grèves qui se multipliaient dans les villes et dans les campagnes, Lénine se retrouva, au moment de la révolte de Cronstadt., dans le même isolement sectaire qu'à l'époque où il rédigeait Quefaire ? La similitude des situations provoqua l'identité des réflexes. Mais en 1921 Lénine n'était plus l'animateur d'un groupuscule de révolutionnaires professionnels ; il était le chef d'un Etat dont les prétentions totalitaires et la structure bureaucratisée et militarisée semblaient réaliser, jusqu'à la caricature, les principes oligarchiques qu'il avait depuis toujours inculqués au parti. Cette fois, la contestation de la << spontanéité» du prolétariat s'élargira jusqu'à une négation totale, radicale, de l'autonomie de la société civile, et le primat de l'avant-garde se doublera d'un appel solennel et définitif au monopole totalitaire. Primat de la politique, hétéronomie de la classe L'OPPOSITIONOUVRIÈRaEccusait Lénine de «semer la terreur » avec le mot « syndicalisme » (XXXII, 205). En effet, pendant les années décisives 1920-22, le «syndicalisme» prend la place du «trade-unionisme» dans le rôle du méchant de la fable. La gestion ouvrière, la démocratie économique, l' « autogouvemement des producteurs » dont parle Marx désignent désormais une «déviation anarcho-syndicaliste petite-bourgeoise » ; pire : une « bourde », une « ineptie ». « Que signifie cela ? s'écrie Lénine. Chaque ouvrier saurait-il administrer l'Etat ? Les gens pratiques savent que c'est une fable» (ibid., p. 56). « Les syndicats peuvent-ils assurer la gestion ? Tous ceux qui ont plus de trente ans et ont quelque expérience pratique de l'édification socialiste, éclateront de rire» (p. 61). Mais l'éternel argument del'« incompétence des masses » s'insère dans une vaste répudiation de tout ce que le marxisme et le mouvement ouvrier avaient jusqu'alors considéré comme la quintessence du socialisme, répudiation qui culminera dans une proclamation solennelle de la subordination de la classe et de l'économie au parti et à la politique. Il fallait se débarrasser des formules « quasi voluptueuses » sur la « démocratie de la production» (p. 19). C'est « une fausse théorie, une vraie salade». « Rien à dire contre l'emploi de ce terme dans un discours, dans un article. » Autrement dit, on pouvait toujours se réclamer de la « démocratie de la production » pour dénoncer la « démocratie formelle », mais non pour demander sa mise en application dans l'économie « socialiste » :

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