276 des sociaux-démocrates et des démocrates révolutionnaires, la victoire totale est impossible 4 • Entre l'appel « universaliste » à « tous ceux qui possèdent l'honnêteté politique élémentaire», qu'on voit réapparaître chaque fois que lesmassesdémontraient, les armes à la main, qu'elles étaient spontanément révolutionnaires et qu'elles n'avaient pas besoin des « révolutionnaires professionnels », et le repliement sourcilleux dans la «crainte des différences de teinte politique »- trait permanent du bolchévisme - Lénine n'a pas tardé à trouver une troisième voie. Le parti, écrivait-il dans une polémique contre les « liquidateurs »... .•• n'a jamais renoncé à son intention de se servir de certaines organisations n'appartenant pas au parti, comme les soviets, afin d'étendre l'influence des sociauxdémocrates dans la classe ouvrière. En même temps, les · organisations social-démocrates· ne doivent pas oublier que si le travail social-démocrate est organisé comme il convient sur une large échelle parmi les masses, de telles institutions peuvent devenir pratiquement superflues 5 ••• Ainsi fut levépour un instant le voile de l'avenir.. Il n'était pas question de considérer les soviets comme une expression.institutionnelle autonome de classe : au contraire, il dépendait uniquement de l'extension de l'influence bolchévique que les soviets deviennent « pratiquement superflus »... Lénine en 1917 LA RÉVOLUTION de 1905 fut une ((répétition générale» de celle de 1917: cette parole de Lénine est particulièrement juste en ce qui concerne l'attitude du parti envers la classe. Le « formalisme » que Lénine dénonçait chez les comitards de 1905 réapparut à l'aube de la seconde révolution, révélant ses traits organiques : manque de confiance dans les masses, rigidité dogmatique, orgueil « vieux bolchévik ». De nouveau, Lénine se trouva dans l'obligation de tancer « ces vieux bolchéviks qui, plus d'une fois déjà, ont joué un triste rôle dans l'histoire de notre parti en répétant sottement une formule apprise par cœur au lieu d'étudier l'originalité d'une situation vivante et nouvelle » 6 • Sans renier ses conceptions antérieures sur l'incapacité révolutionnaire du prolétariat et ses vues si méprisantes sur la« spontanéité», Lénine, pendant toute l'année 1917, célébra en termes de plus en plus dithyrambiques le pouvoir créateur et la spontanéité révolutionnaire des masses : Une République des soviets de députés ouvriers, soldats, paysans, réunis en Assemblée constituante des 4. Ce texte est demeuré inédit jusqu'en 1940; Œuvres complètes, Moscou, 4e éd., vol. X, pp·. 3 sqq. Les chiffres latins et arabes entre parenthèses renvoient au volume et à la page de l'édition française des Œuvres complètes de Lénine, 5e édition, Moscou, 1958 et années suiv. 5. Œuvres complètes, 4e éd., X, p. 236. 6. Lénine·: Lettres sur la tactique, avril 1917; XXIV, p. 34. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL représentants du peuple de Russie, ·ou en -Conseil des soviets, etc., voilà ce qui est en train de naître chez nous . à l'heure actuelle, sur l'initiative des masses populaires . qui créent spontanément une démocratie à leur manière, sans attendre que Messieurs les professeurs cadets aient . rédigé leurs projets de loi, ni que les pédants et les routiniers de la « social-démocrati.e » petite-bourgeoise, tels que Plékhanov ou Kautsky, aient renoncé à falsifier la théorie marxiste de l'Etat 7 • A côté des « professeurs cadets »et des « pédants de la social-démocratie »~Lénine aurait dû compter également ces « révolutionnaires professionnels » qu'il avait si longtemps érigés en détenteurs exclusifs de la volonté révolutionnaire. Mais lui qui avait si violemment attaqué la formule menchévique de « gouvernement révolutionnaire local », se félicitait maintenant de voir la Russie « se couvrir d'un réseau d'organes d'autonomie administrative locale» 8 • La Commune de Paris n'était plus « un gouvernement comme ne doit pas être le nôtre», mais le modèle dont devaient s'inspirer les soviets - modèle ignoblement « oublié », « bafoué », « falsifié» par Kautsky et les autres « traîtres » de la social-démocratie 9 • Pendant toute l'année 1917, Lénine ne cesse de rappeler ce programme « simple et allant de soi»: abolition de la police et de l'armée permanente ; création d'une milice populaire dont « feront partie tous les citoyens et citoyennes sans exception de quinze à soixante-cinq ans » ; abolition de la bureaucratie ; éligibilité et révocabilité de tous les fonctionnaires sans exception ; parité des traitements des fonctionnaires et des salaires des ouvriers ; contrôle, gestion des usines, puis de l'ensemble de l'industrie par les ouvriers; bref, « adoption immédiate de mesures afin que tous remplissent les fonctions administratives, que tous deviennent pour un temps " bureaucrates " et que, de ce fait, personne ne puisse être bureaucrate» 10 • « On nous confondra avec les anarchistes », dit ironiquement Lénine 11 • Mais il faut surtout craincùre d'être confondus avec « les traîtres au prolétariat qui ont entièrement laissé aux anarchistes le soin de critiquer le parlementarisme » 12 et qui ont passé sous silence « la similitude du marxisme avec l'anarchisme, avec Proudhon comme avec Bakounine » 13 • C'est surtout l'accusation de blanquisme qui provoquait l'indignation de Lénine. En Suisse, aussitôt après le renversement de la monarchie, il écrivait : « Nous ne sommes pas des blanquistes, ni des. partisans de la prise du pouvoir par une minorité. » Dans ses Tlièsesd'avril, il développera la même idée : il faut « reconnaître que notre 7. Lénine : Les Tâches du prolétariat dans notre révolution, mai 1917; XXIV, pp. 60-61. 8. XXIV, p. 143. 9. Cf. notre étude : « Le dépérissement de l'Etat », in Contrat social, sept.-oct. 1961. . 10. Lénine : L'Etat et la Révolution, XXV, p. 520. n. Les Tâches du prolétariat ..., avril 1917; XXIV, p. So. 12. L'Etat et la Révolution, XXV, p. 456. 13. Ibid., p. 464.
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==