Le Contrat Social - anno VII - n. 5 - set.-ott. 1963

CLASSE ET PARTI par Kostas Papaioannou II DANSle léninisme, l'exaltation du parti, sa substitution à la classe élue dans le rôle de démiurge de l'histoire, implique, nous l'avons vu, une contestation systématique de la capacité révolutionnaire, de l'indépendance intellectuelle et de la dignitémorale du prolétariat. Moralement apathique, aveuglé par ses soucis immédiats, dominé par l'idéologie « bourgeoise », dévoyé par le trade-unionisme, incapable de saisir la « totalité », le prolétariat, « livré à lui-même », ne peut que «trahir » sa « mission ». Au contraire, conçu comme une entité au-dessus des classes, où la stricte observance de la règle d'unanimité idéologique efface toute différence sociologique entre intellectuels et ouvriers et leur confère la dignité supérieure de « révolutionnaires professionnels », le parti monolithique est seul à incarner l'essence du prolétariat et sa véritable conscience de classe : Tendons-nous la main et serrons-nous autour des comités du parti. Pas un instant, nous ne devons oublier que seuls les comités du parti peuvent nous diriger comme il convient, que seuls ils nous éclaireront la voie de la terre promise ... Cet appel de Staline 1 illustre parfaitement l'esprit de corps d'élite que répandait sans trop de parcimonie la pédagogie léniniste. Plongeant ses racines dans la mystique de l'avant-garde, si étrangère à l'esprit du marxisme classique mais _si caractéristique des penseurs révolutionnaires russes du x1xe siècle, la conception léniniste du parti avait rapidement donné naissance à un nouveau type de militant, le komitetchik ( comitard), chez qui les traits traditionnels de la mentalité autoritaire «de droite » se conjugaient avec le maximalisme de gauche. Il se forma ainsi très tôt un noyau compact de_« coniitards », «vieux bolchéviks » et « vrais léninistes » pour qui la «Science» puisée dans les brochures de vulgariJ. Staline : Œuvres complètes, I, p. 80. Biblioteca Gino Bianco sation était un signe d'élection et l'appartenance à un comité l'équivalent d'un sacerdoce. Lénine lui-même fut le premier à s'en inquiéter: «Vraiment, je pense souvent que neuf dixièmes des bolchéviks sont de véritables formalistes », écrivait-il dans une lettre du 4 février 1905 où il fustigeait les komitetchiki, leurs « ~ieilles méthodes embarrassantes », « le respect des titres », « les habituelles sottises de comités hiérarchiques ». La violente polémique qu'il devait engager deux mois plus tard au IIIe Congrès du parti révéla pour la première fois l' hybris sectaire qu'avait engendré sa conception vertigineuse du primat de l'avant-garde. « Je me contenais à peine, s'exclama-t-il dans son discours final, à entendre dire qu'il n'y avait pas d'ouvriers capables de faire partie des comités 2 • » Pour régénérer le parti menacé - déjà... - de « sclérose bureaucratique », Lénine se déclara « partisan d'une règle qui imposerait dans nos comités, pour deux intellectuels,, huit ouvriers ». En fait, ainsi que le note Kroupskaïa dans ses Souvenirs sur Lénine, à cette époque-là il n'y avait presque pas d'ouvriers dans les comités du parti ; sur les vingt délégués mandatés au IIIe Congrès, un seul avait travaillé dans l'industrie. Bien que cette situation fdt pour le moins scabreuse dans un parti prétendant incarner le prolétariat, les congressistes votèrent contre la proposition de Lénine, sous prétexte qu'elle risquait d'altérer la « pureté révolutionnaire » et 'la cohésion interne de l'organis•ation. Lénine tempêta et fulmina - mais n'est-ce pas lui qui avait inculqué à ses adeptes la méfiance systématique à l'égard de la masse ? · Parti et soviets en 1905 CEPENDANleTs masses n'avaient pas attendu les . « révol~tionnaires professionnels » pour. se m~ttre en marche. En fait, ce ne furent pas les _marxistes 2. Cité par Trotski : Staline, 1948, p. 89.

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==