Le Contrat Social - anno VII - n. 5 - set.-ott. 1963

L. EMBRY vassalisés, puis complètement annexés, et d'ailleurs il est fascinant de voir renaître à cette occasion certaines constantes historiques. Les régions qui entourent la Baltique ne sont-elles pas celles où se déroulèrent pendant des siècles des luttes incessantes entre Germains et Slaves ? Les Baltes, peuples énergiques, entreprenants et cultivés, n'ont-ils pas résisté au panslavisme avec une obstination efficace ? En tout cas, c'est par dizaines de milliers que les Lituaniens, les Lettons, les Estoniens, ont été massacrés ou déportés en Sibérie, la décimation atteignant surtout les élites et bien souvent, pour ces dernières, jusqu'à concurrence· de cinquante pour cent de leur effectif. L'occupation allemande et le ralliement à Hitler de certains Baltes motivèrent, après la reconquête, une _nouvelle et implacable épuration dont le caractère raciste est évident. On est d'ailleurs induit à en rapprocher les atroces mesures qui, pour les mêmes raisons ou sous les mêmes prétextes, furent décrétées non seulement contre les petites minorités allemandes de la Volga, mais contre divers peuples musulmans de la Crimée ou des bords de la Caspienne. La dure pression exercéepar les Russes contre les populations musulmanes de leur Empire est aussi un fait avéré, bien que moins spectaculaire et trop confusément connu. C'en est assez pour que soit tristement démontrée la parfaite compatibilité pratique du communisme et du racisme, en dépit de toutes les affirmations doctrinales. Est-il nécessaire de rappeler que !'U.R.S.S. s'est trouvée maîtresse de colonies ou de satellites dont les habitants ont été pressurés jusqu'à la limite du possible, voire jusqu'aux tentatives de révolte ? Si le communisme stalinien, -détendu aujourd'hui sans être aboli ou tout à fait désavoué, a toute apparence d'être un fascisme, il est opportun d'évoquer une définition qui eut cours voilà trente ans et selon laquelle le fascisme pouvait être expliqué comme une colonisation à l'intérieur, la colonisation impliquant forcément l'inégalité des groupements ethniques et la présence d'une race supérieure qui se réserve les prérogatives du pouvoir réel. Sans plus insister, nous devons encore toucher à une question capitale qui intéresse au premier chef les destinées du communisme mondial, et qui n'est rien d'autre que la responsabilité du racisme dans l'actuel schisme soviéto-chinois. On s'interroge quant aux causes profondes de l'événement. Qu'elles soient loin d'être purement, ou même principalement idéologiques, on en convient aisément : la dialectique aurait pu alimenter des débats sans fin, de plus en plus noyés dans leur propre galimatias. De même, on n'a pas tout dit quand on a allégué la rapacité des Soviétiques et l'irritation des Chinois, conscients d'être aidés sans enthousiasme et traités en disciples qui ne peuvent que suivre. Il est facile d'imaginer l'accumulation des griefs, des ressentiments, des mécontentements jaloux, mais la vraie question demeure, qui est de comprendre pourquoi les dirigeants chinois ont décidé de faire sauter la mine, d'abandonner toute précaution verbale et de donner à leur différend avec Moscou une véhéBiblioteca Gino Bianco 269 mente publicité. A quoi peut servir cette furibon~e polémique ? On a peine à croire que tout soit exactement calculé en fonction du but, qui est de prendre le commandement dans une nouvelle Internationale. Elie Halévy ne s'est pas trompé lorsqu'il diagnostiqua, il y a trente ans, que nous entrions dans l'ère des tyrarinies; mais il aurait pu ajouter que, plus que jamais, les régimes tyranniques seraient fondés sur la démagogie, donc sur l'art d'exciter les passions collectives. Il n'est pas d'analyse politique qui vaille si elle ne tient largement compte des passions et même des instincts. Cela étant, osons dire que la bagarre russo-chinoise serait inexplicable, au moins en ses modes, si elle n'était déterminée par des facteurs qui n'ont rien à voir avec l'intellect. D'abord, les très fortes inégalités dans la poussée démographique; au nord de l'Amour, les régions désertiques ou de population clairsemée, au sud, le grouillement des masses jaunes, toujours en quête d'espace vital et de terres cultivables ; puis, par liaison immédiate, le sentiment profond de l'incompatibilité des races, sentiment qui ressort au fur et à mesure que la polémique s'échauffe. La Chine a lutté farouchement pour se débarrasser de l'exploitation coloniale, qui était fondamentalement celle des Blancs ; elle y est parvenue, elle peut même se targuer d'avoir commencé à renverser le cours de l'histoire puisqu'elle possède en Europe un protectorat fidèle et dévoué, l'Albanie. Jusqu'à quel point n'a-t-elle pas aujourd'hui le sentiment que c'est la Russie de Staline, continuatrice de celle des tsars, qui a voulu la vassaliser, c'est-à-dire la coloniser ? Que l'orgueil de Mao supporte mal une telle pensée, on le comprend sans peine. Selon la loi de la dictature démagogique, il lui reste à faire passer dans la conscience de ses innombrables sujets les sentiments qui, depuis des années, ont fermenté en lui et qui réveillent l'animosité ancestrale contre le colonisateur blanc, traître, en l'occurrence, à la sainte doctrine. RÉSIGNONS-NOUS à le constater sans illusion et sans peur: bien loin 4'avoir été résolu par la formulation d'excellents principes politiques et moraux, le problème du contact entre les races demeure tout à fait actuel et se pose sur tous les continents avec plus ou moins d'âpreté. Rien là que de très naturel puisque nous avons fait entrer dans la vie publique, sous prétexte de démocratie, de socialisme ou de communisme, des masses compactes qui, dans une large mesure, sont encore proches de la primitivité. C'était nécessaire sans doute, peut-être même assez audacieusement beau et destiné à préparer les matériaux d'un nouvel ordre cosmopolite ; mais le progrès est fait d'oscillations, toute avance étant payée par des crises, toute révolution étant aussi une régression. Dirigée par des aristocraties ou des spécialistes, la politique pouvait encore se piquer d'être un art rationnel ; se voulant faite par et pour les

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==