268 que les moindres conséquences, et aussi les plus immédiates. Il y a infiniment plus grave : la question ethnique tend maintenant à se formuler en des termes nouveaux, gros de périls pour un avenir indéterminé. Jusqu'à présent, il paraissait aller de soi que pour les citoyens noirs d'Amérique la revendication majeure était celle de la complète égalité des droits et de l'assimilation sociale qui en résultait nécessairement ; c'était en somme la position d'hier des élites indigènes dans toutes les colonies européennes. On sait comment les déceptions, l'impatience, l'ambition, la montée d'un sentiment national auquel celui de la race était intimement mêlé, ont partout effacé cet état d' esprit, remplacé par une revendication passionnée de l'indépendance, donc par la volonté de se poser en s'opposant. Craignons que le parallèle puisse trop facilement être prolongé; ne dit-on pas déjà que certains chefs noirs aux Etats-Unis, surtout parmi les convertis récents à l'islam, dénoncent le caractère fallacieux ou chimérique de l'intégration et réclament au contraire une autonomie qui équivaudrait ou conduirait à l'indépendance ? Convenons que ce serait une étrange ironie du sort, une tragédie hier encore inconcevable si, sur le territoire de l'Union, dix-huit millions de Noirs, qui sont majoritaires dans plusieurs Etats et dans la capitalefédérale,·exigeaientd'être reconnus comme formant une nation distincte qui, arguant des principes de la démocratie libérale, devrait recevoir le droit de se gouverner elle-même. Minorité ethnique aujourd'hui, nation indépendante demain, nation où les Blancs.seraient peut- .être traités comme l'ont été les colons français en Algérie ; ce seraient les descendants des anciens esclaves qui lèveraient ainsi l'étendard de la sécession.De telles idées nous laissent incrédules ; on ne peut nier cependant que les extrémistes . gagnent du terrain, qu'il n'est pas absurde d'imaginer un Gandhi américain ou un Castro noir et qu'il est déjà grave d'être amené à envisager de semblables perspectives. PLAÇONS ici l'intervention supposée d'un doctrinaire communiste, soucieux d'enfoncer le coin dans la fente ; ses propos n'auront certainement rien d'imprévu. Nous serons donc instruits une fois de plus du fait que la démocratie, paravent trompeur du capitalisme, est bien incapable de pacifier ses contradictions internes et entretient en elle les conflits de races aussi bien que les luttes de classes. Seul le communisme fournit la solution radicale en définissant chacun par les critères de la condition prolétarienne, en rompant les liens avec la patrie, l'Eglise et la race. Le plus étonnant aurait été qu'une conception ·aussi simpliste née d'une effroyable méconnaissance ~e l'âme h~aine, pût résister à l'épreuve des faits ; l' exper1ence .fut très promptement c~ncluante, du moins quant à ce dogme marxiste. A la rigueur, tant que vécut Lénine et surtout tant que dura le communisme de guerre, les cadres de l'Internationale comptèrent bon nombre d'apaBiblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL trides ou de déracinés, la venue. en Russie pour y servir la Révolution mondiale équivalant à une sorte de naturalisation. Mais cet état anormal dura ·. peu et l'avènement de Staline marqua moins un tournant décisif que le retour à un réalisme cyni-. que, l'obéissance à la pesanteur et à des traditions incluses dans la vie des masses. On ne saurait trop le répéter, en effet, la grande idée de Staline, sous couleur de réaliser le socialisme en un seul pays, fut de couler la Révolution dans le moule du nationalisme russe et de la tradition impéri~le, ce qui conduisait à organiser plus fortement que jamais l'Etat totalitaire et le culte du tsar, dont peu importait qu'il fût rouge. La pente ainsi disposée, l'impulsion donnée, il devint de plus en plus difficile de tracer des frontières entre le socialismenational et le nationalsocialisme. Il suffit d'un coup d' œil jeté sur la carte politique du monde moderne pour arriver à une conclusion peu réjouissante à première vue. On s'est flatté de l'idée séduisante qu'après les deux guerres mondiales, les temps étaient venus de la démocratie universelle et de la libération des peuples; or il est patent qu'en très grande majorité les nations, surtout si elles ont récemment conquis ce qu'elles appellent leur indépendance, se hâtent d'édifier des régimes autoritaires, militaires, ombrageux et volontiers agressifs, auxquels l'Empire stalinien a proposé un exemple colossal. Se pourrait-il que, malgré sa défaite personnelle, Mussolini ait été bon prophète lorsqu'il annonça orgueilleusement que le xx: 0 siècle serait le siècle du fascisme ? Puisque, sous le pavillon du socialisme plus ou moins autarcique et sous prétexte de le réaliser, on a fait revivre en des combinaisons incandescentes le nationalisme, le militarisme, l'impérialisme, il était inévitable que le racisme fût aussi de la partie, quoique d'une façon moins ·monstrueuse, plus sporadique qu'il ne le fut sous la direction des nazis fanatiques. L'histoire de la Russie stalinienne comporte à cet égard au moins· trois chapitres affligeants, et d'abord celui que requiert l'étude de l'antisémitisme ·contemporain. Au fur et à mesure que la logique interne du stalinisme a développé ses conséquences, qu'on se réfère davantage à la tradition des tsars, qu'on exploite le capital moral constitué par le patriotisme, on ne peut pas ne pas se souvenir que la Russie fut la terre des pogromes. Les gens d'origine juive sont donc éliminés peu à peu de l'appareil dirigeant ou même durement persécutés, sans qu'on puisse faire la part des intentions délibérées et celle des forces·obscures de l'instinct. Aujourd'hui encore, et pour se concilier les Arabes, la politique russe est nettement hostile à la République israélienne, comme au judaïsme .organisé, prétendu solidaire du grand capitalisme anglo-saxon. . Toutefois, cet antisémitisme ne saurait être comparé à des entreprises racistes d'extermination dont ~taline porte l'entière responsabilité. On a ttop oublié les forfaits commis à la faveur de la dernière guerre mondiale et dont furent victimes les Germano-Baltes des petits Etats, d'abord·
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