Le Contrat Social - anno VII - n. 5 - set.-ott. 1963

264 philosophie très particulière, par la « théorie des élites », dans laquelle il y avait, de leur part, une certaine tendance à se prendre pour des leaders. Cette théorie était fondée sur un fait patent : le bas niveau de l'éducation politique en Russie, le faible degré d'organisation et le manque de maturité des partis politiques. Mais après la révolution de Février, l'existence secrète des cercles de conspirateurs aurait dû normalement cesser. Sur la scène politique pouvaient déployer ouvertement leur activité, sous le contrôle de l'opinion publique, les partis légaux avec leurs comités centraux, leurs quotidiens, leurs fractions et leur représentation dans les municipalités, dans les zemstvo, dans les organismes révolutionnaires autonomes tels que les soviets, enfin au Gouvernement provisoire et dans toutes les assemblées ou institutions flanquées de leurs commissions exécutives. Pourquoi, dans ces conditions, les maçons avaient-ils conservé leur existence distincte ? Peut-être pensaient-ils que le seul moyen de remédier aux faiblesses de la politique russe était que l' « élite », qui se tenait dans la coulisse et ne portait aucune responsabilité, prît sur elle le sort du pays et de la révolution. Dans ses cercles clandestins, cette « élite » aurait dû trancher les questions épineuses de la guerre et de la paix, de la défense du pouvoir et de la lutte contre l'anarchie, du kornilovisme et du bolchévisme. Cette question, considérée d'un point de vue historique et politique, n'est pas dépourvue d'intérêt. Et aujourd'hui, alors que ce qui était hier secret s'étale au grand jour, ce problème continue de préoccuper des hommes politiques . ' , . . . . ' qw n etru.ent pas maçons, mru.s qw Jouerent un rôle dans la politique russe pendant la première guerre mondiale et la révolution de Février. Nous avons donné une liste d'hommes entrés dans la politique par la porte de la maçonnerie. Il importe également d'énumérer les leaders des différen~spartis qui ne furent jamais maçons, et dont l'influence fut loin d'être négligeable : qu'il suffisede citer P. N. Milioukov, I. I. Pétrounkévitch, V. D. Nabokov, M. M. Vinaver P. B. Struve, F. I. Roditchev, I. V. Hessen poU: les cadets; G. V. Plékhanov, A. N. Potressov I.G. Tsérételli, F. I. Dan, Iou. O. Martov pou; les menchéviks ; V. M. Tchemov, A. R. Gotz pour les socialistes-révolutionnaires; S. P. Melgo~~v, L. M. ~ramson, V. Miakotine, pour les soaalistes populistes, pour avoir une idée de la scission pr_a~quement opérée par les maçons dans la politique russe et dans tous les partis au cours de la guerre et de la révolution de Février. LA R_ENAISSANCE de la maçonnerie part, semblet-il, de 1915. Les contradictions politiques du régime, principalement engendrées par 1~ ~erre, les désastres militaires et la désorgarusatton économique, atteignaient alors leur plus grande acuité. L'ouvrage de Melgounov, qui Biblioteca Gino Bianco LB CONTRAT SOCIAL contient une foule de données sur l'opinion publique de l'époque, sur les plans élaborés dans différents milieux qui, au début, mettaient moins l'accent sur une révolution populaire que sur une révolution de palais. permet d'établir que l'activité maçonnique s'exerçait dans deux directions qui ne se rejoignaient pas toujours tout en ayant la même impulsion secrète. L'une allait daris le sens d'un groupement des éléments qui pouvaient accomplir l' « acte » même, qui assuraient la liaison dans les milieux de la Cour et maintenaient le contact avec les militaires (officiers de la Garde, généraux). L'autre, dans le sens d'une étroite union des cercles politiques, passait par la Douma et influençait la presse tô. Malgré la diversité politique et les différents liens de parti des affiliés aux loges, de nombreux maçons critiquaient le Bloc progressiste qui, sous la direction de Milioukov, avait réussi à faire brèche dans l'administration d'Etat, voire parmi les ministres et les grands-ducs. Il n'empêche que les maçons aussi bien que le Bloc progressiste ne tenaient pas à pousser à tout prix, en pleine guerre, la crise politique en gestation jusqu'à la révolution. Entre ces deux courants de mécontentement, la maçonnerie s'efforçait de constituer un maillon, de jouer dans la coulisse le rôle du chef d'orchestre. Melgounov estime qu'à la tête de la maçonnerie politique se trouvait un triumvirat : Nékrassov, Kérenski et Téréchtchenko. En 1916, ce triumvirat, selon ses informations, se transforma en quinquevirat, Konovalov et Efrémov étant venus s'ajouter aux trois autres. Se référant aux Mémoires de Kérenski, parus en français, Melgounov fait encore allusion à un cercle maçonnique, au « centre gauche » de la Douma, représenté par un quatorvirat : Kérenski et Tchkhéidzé pour les travaillistes et les menchéviks, Nékrassov et Kolioubakine pour les cadets de gauche. Apparemment, ni le quatorvirat ni le quinquevirat ne jouait un rôle dirigeant comparable à celui dq.triumvirat primitif: Nékrassov, Kérenski, Téréchtchenko. Autant qu'on en puisse juger, les fonctions entre ces derniers étaient réparties ainsi : Nékrassov faisait la liaison avec les milieux libéraux, les membres des zemstvo, les députés de la Douma, Kérenski travaillait les radicaux et socialistes de toutes nuances, et Téréchtchenko les militaires. Téréchtchenko avait des liens directs avec le cercle Goutchkov, auquel la rumeur publique attribuait des plans de révolution de, palais ou de pronunciamiento. Si, à ce triumvirat, on ajoute Konovalov et Efrémov, l'un et l'autre très influents dans les milieux commerciaux et industriels, on verra que tous les fils conduisant à des changements éventuels dans le régime politique étaient - du moins sur le · plan maçonnique - réunis dans les mains du quinquevirat. - L'éviction du tsar et de la tsarine se posa plusieurs fois au cours de la guerre. 10. S. P. Melgounov : V er1 la rhJolution da ,alail, Paril 1939, pp. 143-64, 165-79, 180-98.

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==