G. ARONSON direction du parti social-démocrate allemand (suivant une convention signée, entre autres, par Bebel et Hermann Müller, en 1911), à charge pour celle-ci de transmettre ladite bibliothèque, après l'affranchissement de la Russie, aux socialdémocrates russes, à condition toutefois que les bolchéviks aient formé un parti unifié avec les menchéviks. Béboutov était le mandataire du comte Orlov-Davydov, député à la Douma et maçon qui, selon Melgounov, abritait dans son palais une loge maçonnique terroriste. Avec des fonds fournis par Orlov, un comité fut organisé à Berlin pour venir en aide aux Russes internés _pendant la première guerre mondiale. Bref, Béboutov était un personnage étrange, voire énigmatique. Lors de la révolution de Février, quand ses relations avec la police eurent été découvertes, Béboutov, à la demande des avocats Zaroudny et Sokolov, fut mis aux arrêts à domicile (un franc-maçon, M. Morgouliès, estimait que son appartenance à l'Okhrana n'était pas prouvée, bien que Béboutov ne contestât pas que tantôt il s'informait auprès de Manassévitch-Manouïlov, tantôt il l'informait). Bourtsev, de son côté, considérait Béboutov comme un agent de l'Allemagne, ce qui est confirmé par les documents publiés en Angleterre et tirés des archives de la Wilhelmstrasse 9 • OUVRONS une parenthèse pour apporter un témoignage sur une loge maçonnique de · province, témoignage direct recueilli en automne 1918 dans une prison bolchévique, de la bouche d'un compagnon de cellule qui s'était décidé à parler. « Vous vous souvenez, me dit-il, qu'en 1915, le cadet Kolioubakine, membre de la Douma, vint nous rendre visite sur le front. Il devait ne pas en revenir, ayant été victime, je crois, d'un accident. Il était resté deux jours parmi nous et en avait profité pour fonder une loge. « Je n'avais pas été invité à la réunion et n'étais pas entré à la loge, poursuivit mon ami, mais peu de temps après arriva K..., lui aussi député à - la Douma, que je connaissais depuis 1913. Je fus alors convié à assister à la réunion et K... parraina mon adhésion. Je m'y étais préparé. Un de mes amis, qui prenait part d'ordinaire à nos réunions po~tiques, avait préalablement voulu savoir si je consentais à m'affilier. (...) Il m'avait seulement demandé : primo, de garder secret notre entretien ; secundo, si j'étais prêt à tout sacrifier, y compris ma vie, en luttant pour la vérité et la liberté. Ma réponse ayant été affirmative., il m'informa de la prochaine rencontre avec K... • « K... me reçut dans le bureau du maître de 9. Germany and the Revolution in Russia in 1915-1918, éd. par Z. et B. Zeman, Londres 1958. Bib ·ioteca Gino . 1anco 263 céans où nous avions coutume de tenir nos réunions politiques. Je fus tout d'abord étonné par le rite d'admission. J'en avais lu quelque part la description, mais le croyais aboli depuis longtemps. K... me banda les yeux, me posa un certain nombre de questions, me donna lecture du serment contenant les paroles sacramentelles sur la vérité et la liberté, formule que je répétai après lui. Quand j'eus prêté serment, K... me remit une paire de gants en signe d' admission, m'embrassa et me conduisit par la main dans une autre pièce. Là, on m'enleva mon bandeau, et je vis des dizaines de vieilles connaissances, de personnalités locales, introduites avant moi dans la loge. Je fus tout décontenancé quand ces personnalités, que j'avais l'habitude d'appeler par leur patronyme, me donnèrent du " frère " à n'en plus finir, se mirent à me tutoyer, m'embrassèrent et me félicitèrent. cc Peu après, d'autres personnes se présentèrent, qui ne faisaient pas partie de la loge, notamment vous. Notre réunion publique ordinaire fut ouverte : le député venu de Pétersbourg fit un rapport sur des sujets d'actualité et une discussion animée s'engagea, à laquelle prirent part les personnes présentes en tant que délégués de tel ou tel parti ou groupement politique. » Sous l'effet de ce récit et de quelques autres informations, je me suis maintes fois demandé quelle était la signification politique des loges. Leur activité était fondée sur la notion d'association, de coalition des différents partis. Or nos réunions politiques, d'un commun accord, étaient organisées sur ce principe, admis même par ceux qui n'étaient pas maçons. En Russie, pendant la première guerre mondiale, l'influence des partis (sur les masses comme sur l'intelligentsia) était faible, leur prestige étant passablement terni ; la convocation de réunions de ce genre ne soulevait donc pas d'objections. Des bolchéviks militant à Pétrograd ou à Moscou, sans parler des socialistes-révolutionnaires et des menchéviks, assistaient volontiers à ces réunions bigarrées qui se tenaient peu avant la révolution soit chez Konovalov, soit chez Gorki ou chez Kouskova. En 1915-16, tout le monde en Russie pressentait l'approche de gran~s événements. Le mot révolution était rarement prononcé. Son ombre, en temps de guerre, faisait peur. Parmi les hommes politiques de tendance libérale, les optimistes étaient les plus nombreux: ils regardaient l'avenir en toute confiance et mettaient leurs espoirs dans une « évolution ». La Cour et les ultraréactionnaires étaient isolés dans le pays. Dans l'administration, de larges brèches avaient été ouvertes. Chaque cercle d'officiers était un foyer de mécontentement, chaque rédaction de journal libéral réclamait du changement. Ainsi, la maçonnerie, en tant qu'organisation politique sans-parti, ne se différenciait pas des autres. La seule chose qui, aux yeux des maçons, justifiait leur existence, était la forme secrète de leur organisation, dictée, semble-t-il, par leur
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==