262 en était à l'étranger, mais qu'en Russie, suivant mes informations, il n'existait pas de loges judéomaçonniques et que d'ailleurs les francs-maçons ne jouaient aucun rôle. Mes informations ne furent pas jugées convaincantes par le tsar qui me chargea de dire à Stolypine de lui soumettre un rapport aussi complet que possible sur les francs-maçons russes et étrangers. J'ignore si ce rapport fut présenté ; il y avait auprès du département de la Police une commission chargée spécialement des francs-maçons et qui fonctionnait encore au moment de la révolution de 1917 6 • » Cet entretien eut lieu peu de temps après l' assassinat par les terroristes, le 3 janvier 1907, de von der Launitz, gouverneur de Pétersbourg. Pour découvrir des liens entre francs-maçons russes et français, la police dépêcha à Paris, en 1910, l'assesseur de collège Alexéïev, dont le rapport permet notamment d'établir que le général Kourlov et d'autres personnalités cherchèrent par leurs agents à attribuer ( à vrai dire sans preuves convaincantes) le meurtre de Stolypine aux francs-maçons, intéressés, prétendait-on, à le voir disparaître. Le rapport d'Alexéïev à Kourlov donnera une idée de la mentalité des agents de l'Okhrana et du genre d'informations communiquées au tsar : « J'ai appris, par des personnes qui, ici, touchent de près la franc-maçonnerie, que l'attentat contre M. le président du Conseil des ministres est à mettre en corrélation avec les plans des dirigeants maçonniques. Depuis quelque temps, de prudentes démarches, bien déguisées, avaient été entreprises auprès de M. le président du Conseil pour faire pencher Son Excellence en faveur de la puissante société secrète. Il va sans dire que ces tentatives, faites dans l'atmosphère de clandestinité propre à la franc-maçonnerie, ne pouvaient éveiller chez M. le Président le moindre soupçon. (...) Les maçons attaquèrent également sur un autre front, en essayant de s'assurer l'appui d'un haut dignitaire. Cette personnalité, dit-on, se trouva être P. N. Dournovo~ qui se fit soi-disant leur protecteur en Russie, ayant peut-être des raisons d'agir ainsi. Quand les maçons eurent acquis la conviction 9u'ils pouvaient compter sur un garant de cette 1.tnportance, ils furent tentés de voir dans le trésident du Conseil des ministres un obstacle. :: ) Les maçon~ étaient inqui~t~ que le pouvoir ut entr~ les mams de M. le pres1dent du Conseil. Un article paru dans la presse prétendait que Son Excellence était " sous l'influence des maçons qui le manœuvraient par l'entremise de son frère " ( Groza, n° 153, et Rousskaïa Pravda, no 13). « A l'étranger, le premier ministre est considéré ~omme une personne qui ne veut ni mal ni bien ~ ~a, franc_-I?açonnerie. Cett~ opinion (...) a mc1te les dirigeants de la maçonnerie à conclure ~- A. .~uérassimov, ex-lieutenant général, chef de la police P?lit1que de ~étersbourg (1905-1909) : La Lutte contre la première ·révolution. Mémoires (citation d'après le texte allemand), 1934, pp. 146-47. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL que M. le président du Conseil des ministres est, pour la société secrète, un homme " inutile ", voire, dans les conditions actuelles, alors que la maçonnerie se dispose, en Russie, à appuyer sur tous ses leviers, nuisible aux objectifs qu'elle. vise. Les maçons s'attendaient à des événements en juillet. Les dirigeants de Paris n'avaient pas précisé la forme que prendraient ces événements et c'est seulement à présent, devant le fait accompli, que les francs-maçons parisiens se souviennent d'avoir entendu de vàgues allusions à M. le président du Conseil des ministres, dont la politique avait mécontenté le Grand Conseil maçonnique. On dit que les dirigeants de la franc-maçonnerie (...) précipitèrent l'exécution du plan, qui n'était encore qu'une ébauche. Le côté purement "technique" de l'assassinat et quelques détails se rapportant aux conditions nécessaires à la réussite de l'attentat furent mis au point par les maçons. Vu l'état de choses actuel [la protection de la police], un attentat n'est possible qu'au moyen des forces maçonniques (...) sans l'aide desquelles aucun comité révol~tionnaire ne saurait accomplir quoi que ce soit 7 • » Ce document prolixe ne concernait certes pas directement les francs-maçons, mais il mettait en lumière les efforts de la police, sur les traces encore fraîches des assassins de Stolypine, pour attirer l'attention des milieux influents et du tsar sur les francs-maçons, rendus complices de ce meurtre. Cela aurait permis de mettre fin aux bruits qui couraient sur le général Kourlov, accusé par la rumeur publique, et qui, déféré à la justice, fut libéré sur ordre exprès du tsar. Le mouvement maçonnique en Russie s'entourait du secret le plus absolu, surtout pendant la période où les maçons redoublèrent d'activité. Mais il est difficile d'admettre que la police ait ignoré cette activité. Et, en effet, elle avait son œil parmi les francs-maçons russes. A. Tyrkova-Williams fait dans ses Mémoires un portrait très poussé du prince Béboutov, cadet et maçon, chargé par la police secrète de l'informer sur l'activité des uns et des autres : « Quand, au printemps de 1906, on eut besoin d'argent pour organiser un club, Béboutov remit à Pétrounkévitch 10.000 roubles. On découvrit, après la révolution, que ces fonds avaient été fournis par l'Okhrana pour introduire Béboutov dans les hautes sphères du parti cadet 8 • » Béboutqv faisait paraître à l'étranger (environ 1910). une revue russe, Poslédni samodierjets (le Dernier Autocrate) qu'il avait réussi à faire passer et à diffuser en Russie, probablement là encore avec l'appui de l'Okhrana. Béboutov joua un rôle très particulier dans la vie publique russe. Il fonda à Berlin une bibliothèque russe assez importante qu'il confia à la 7. Le rapport d'Alexéïev est cité d'après des extraits parus dans P. Chtchégoliev : Agents de l'Okhrana et a11enn,- riers, Moscou 1930. 8. A. Tyrkova-Williams : oP-cit., p. 398.
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==