260 novalov et A. I. Braoudo, M. I. Téréchtchenko et S. N. Prokopovicz •. Ce qui frappe, dans cette liste, c'est cet agglomérat de personnalités où des socialistes de toutes nuances côtoient des millionnaires, où des représentants de l'opposition libérale la plus extrême voisinent avec de hauts fonctionnaires - jusques et y compris... l'ex-directeur du département de la Police. Chose d'autant plus étrange dans la vie politique russe, caractérisée par la polarisation des opinions, le sectarisme dans les relations entre hommes politiques et les incompatibilités de personnes. Dès lors, rien d'étonnant qu'on aille jusqu'à mettre en doute l'existence même de francsmaçons russes. Comment ? ils étaient francsmaçons ? s'écrie-t-on. Nous avons connu pendant la première guerre mondiale la clique de Raspoutine et ses relations avec la Cour, nous avons entendu dire que des grands-ducs et des généraux poussaient le tsar à un compromis avec la Douma d'Empire. Les manœuvres des cadets, les interventions des troudoviki (travaillistes) et des socialdémocrates sont de notoriété publique. Les noms des hommes politiques les plus en vue : P. N. Milioukov, A. I. Goutchkov ** s'étalaient dans les journaux. Mais on n'a jamais entendu un mot sur les francs-maçons. Tou_tau plus était-il question des « judéo-maçons », ce produit de l'imagination de la presse ultra-réactionnaire ou de la police secrète, tourné d'ordinaire en dérision. Nous ne sommes pas les seuls à avoir tout ignoré de la maçonnerie politique : P. N. Milioukov, dans ses Mémoires, rédigés au début des années 40 et publiés en 1955, reconnaît que luimême n'en savait rien. Examinant certains faits, il ne se résoud pas à les imputer carrément à la • Prince Georges Lvov, président du Conseil du Gouvernement provisoire (l'auteur a reçu, au sujet de l'appartenance maçonnique du prince Lvov, un démenti qui fait état des opinions religieuses du premier président du Gouvernement provisoire ...) ; Alexandre Kérenski, député à la Douma, puis président du Conseil du Gouvernement provisoire ; N. V. Nékrassov, député à la Douma, membre du Gouvernement provisoire ; Nicolas Tchkhéïdzé, député à la Douma, social-démocrate, président du Soviet des députés ouvriers de Pétrograd ; V. A. Maklakov, député à la Douma, célèbre avocat, ambassadeur du Gouvernement provisoire en France ; Catherine Kouskova, écrivain, publiciste, coopérateur, épouse de S. N. Prokopovicz; Grand-duc Nicolas Mikhaïlovitch (Romanov), oncle du tsar, fusillé par les bolchéviks au printemps 1919; A. D. Sokolov, éminent avocat, très proche des bolchéviks; Alexandre Konovalov, industriel, député à la Douma ministre du Gouvernement provisoire ; ' A. I. Braoudo, personnalité politique, membre du Groupe démocratique juif ; M. M. Téréchtchenko, millionnaire, fabricant de sucre administrateur des Théâtres impériaux, ministre du Gou~ vernement provisoire ; . S. N. _P~okopovicz, économiste, publiciste, homme politlque, IIlllllstre du Gouvernement provisoire. . •• P ..~. Milioukov, député à la Douma, professeur, histonen, IIlllllstre du Gouvernement provisoire, leader des • constitutionnels-démocrates » ; A. I. Goutchkov, leader du parti des • Octobristes » (conservateurs), ex-président de la Douma, ministre de la Guerre du Gouvernement provisoire. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL maçonnerie et, prenant des détours, il écrit : « Si je ne parle pas (...), il est évident que c'est parce qu'en observant les événements, je n'ai pas deviné, à l'époque, leur origine, et ce n'est que bien après l'existence du Gouvernement provisoire que j'ai connu fortuitement cette origine 1 • » En d'autres termes, un homme aussi informé, au cœur de la vie politique et sociale, n'avait pas soupçonné l'activité et le rôle des francs-maçons. C'est incidemment, longtemps après la révolution de Février, qu'il en fut avisé. Cela donne une idée du caractère secret de l'action des maçons et de leur soin à en effacer les traces... Milioukov se contredit jusqu'à un certain point là où il parle de ses premiers contacts, au début des années 90, avec les francs-maçons français. Il relate que la réflexion d'un maçon de rencontre sur la « toute-puissance [de la maçonnerie] en France (...) avait produit [sur lui] une très forte impression». Et d'ajouter : « Maintes fois on m'avait proposé d'entrer à la loge. Je pense que cette impression fut une des principales raisons de mon refus obstiné. Cette puissance d'une collectivité me parut incompatible avec le maintien de ma liberté individuelle. » Les lecteurs des Mémoires de Milioukov auront remarqué l'étrange manière de ce mémorialiste. Pas une fois il ne mentionne des noms de francsmaçons, s'en tenant à des allusions. Fait d'autant plus inexplicable que bien avant la deuxième guerre mondiale, les journaux avaient parlé des francs-maçons russes et en avaient nommé un grand nombre. Milioukov · connaissait sûrement l'ouvrage de S. P. Melgounov *, dont certains chapitres avaient été publiés dans la presse, et l'ouvrage lui-même édité en 1931, sous le titre : V ers le coupd'Etat, ainsi que lesmémoires de I. V. Hessen, En deux siècles, publiés en 1937. Or il y était grandement question des francs-maçons. Si ces derniers, liés par leur serment, se taisent, quelles raisons Milioukov avait-il d'en faire autant ? , AVANT d'aborder la question des francs-maçons dans la première guerre mondiale et dans la révolution de Février, voyons ce qu'a été la franc-maçonnerie russe au début du :xxe siècle. Certes, son rôle politique n'a pas été très marquant, encore qu'il soit possible que les maçons aient cherché à grouper certains cadres de l' opposition. Chose bien compréhensible dans une Russie qui venait de traverser l'époque tourmentée de 1905 et des deux premières Doumas d'Empire. Les liens avec les loges françaises furent la caractéristique de c~s années-là. Suivant des informations publiées dans la presse (notamment par Melgounov), il y avait à Moscou, dans les années I 906-191 1, la loge « Astrée », étroitement associée au nom du psychiatre N. N. Bajénov, et à Pétersbourg, l' « Etoile polaire », qui avait à sa tête 1~ P. N. Milioukov : Mémoires (1859-1911), t. II, p. 333, et t. I, p. 147, New York 1955. • Écrivain politique et historien.
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