B. SOUV ARINE dont les noms étaient encore tabou, le Comité central du P.C. soviétique adressait le 21 février dernier au P.C. chinois une lettre fort amène pour tenter de mettre fin à la polémique de presse et proposer de réunir un colloque entre dirigeants qualifiés afin de préparer la conférence générale des partis communistes exigée par les Chinois. On a déjà souligné ici l'étonnante différence de ton et de style entre la prose violemment agressive des gros-boutistes de Pékin et celle, curieusement patiente et courtoise, des petits-boutistes de Moscou. Il est clair que les Chinois, n'ayant rien à perdre, poussent au maximum leur chantage à la -scission pour obtenir gain de cause et que les Soviétiques, sur la défensive, tergiversent pour gagner du temps, chacun lisant dans le jeu adverse. Mais le plus remarquable, c'est que la lettre en question soit remise le 23 février à Mao en personne par l'ambassadeur de !'U.R.S.S. au cours d'une réception protocolaire soumise aux règles aristocratico-bourgeoises des relations entre Etats souverains. Procédure naguère inimaginable entre « partis frères », entre partis ayant gardé si peu que ce fût de leur origine communiste. Il y a là un triple aveu implicite : 1. que ces partis soidisant communistes s'identifient absolument à leurs Etats respectifs; 2. que les deux partis en cause, professant le même marxisme-léninisme, n'ont rien de commun avec le communisme; 3. que les deux Etats pseudo-socialistes, qui se réclament des mêmes principes, sont devenus mentale~ent étrangers l'un à l'autre. (Entre parenthèses, les Chinois s'indignent après longue réflexion que « certains partis frères» ... portent « les différences idéologiques du plan des relations entre partis au plan des relations entre Etats », comme l'a dit Chen Yi le 11 juillet, et les Soviétiques leur ont aussitôt retourné le compliment en termes identiques. La distinction entre le Parti et l'Etat, alors que les deux ne font qu'un pour les communistes au pouvoir, a toujours été une fiction commode à la division du travail tant que la subordination à Moscou était de règle. Quand les Chinois transforment la fiction en réalité, ils créent un fait nouveau dont les implications seront grosses de conséquences dans tout le soi-disant camp du socialisme.) Il va de soi que pour Khrouchtchev et ses proches, dans la tradition de leur parti, préparer une conférence générale signifie marchander au préalable en petit comité le prix de ce qui sera publiquement proclamé à l'unanimité. Mao ne saurait s'y tromper et, dépourvu d'illusions, poursuit imperturbablement son opération de maître-chanteur en publiant chez lui tous les textes de ses adversaires pour les réfuter à sa façon, sachant que presque personne ne les lit, que personne n'y comprend rien et surtout que personne n'osera piper. Il se met ainsi en position favorable pour sommer ses contradicteurs d'en faire autant chez eux, ce à quoi Moscou va se résigner à contre-cœur, tardivement, et en don- .Biblïoteca Gino Blanco 193 nant faiblement la réplique. (A noter qu'un factum publié à Pékin le 2 mars affirme que « l'issue des luttes menées par les peuples opprimés d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine, où vit l'énorme majorité de la population du globe, sera décisive pour la cause du prolétari~t international ». Là Mao se borne à copier, mais en l'arrangeant, une phrase du dernier article de Lénine maintes fois citée, selon laquelle « l'issue de la lutte dépend finalement de ce que la Russie, l'Inde, la Chine, etc., forment l'immense majorité de la population du globe », etc. Or Lénine n'y mentionnait pas l'Afrique ni l'Amérique latine, et quant à la Chine, ses maîtres actuels l'opposent décidément à la . Russie et à l'Inde.) A ce moment de la dispute, la fiction du conflit idéologique apparaît même à certains commentateurs occidentaux qui l'ont accréditée. Un éditorial du Monde reconnaît, le 3 mars : « La querelle sino-russe s'était longtemps déroulée derrière les écrans de fumée de l'idéologie... [La contreattaque de Pékin] fait maintenant apparaître ce qu'il y avait derrière les querelles idéologiques... ». D'autres journaux, tel le New York Times, conviennent incidemment des « prétextes » ou des « apparences » idéologiques, mais le cliché reste en usage par une sorte de vitesse acquise, même dans des contextes (comme ceux d'Adenauer et de de Gaulle reproduits plus haut) qui en montrent l'inanité. Le développement de la polémique et la succession des faits dissiperont sans doute bien des idées fausses qui avaient cours sur le sujet avant le colloque soviéto-chinois accepté par Mao dans sa réponse du 9 mars à la proposition soviétique dont l'hypocrisie ne trompe certainement pas le destinataire. LÀ ENCORE, il s'est passé quelque chose d'imprévisible et de révélateur qui prouve assez que l'idéologie communiste n'a pas place en l'occurrence et que, pour des raisons inavouables, les protagonistes rivalisent d'astuce corsée de cynisme. Tout en acceptant le principe d'une réunion éventuelle à Moscou, Mao se permettait d'inviter Khrouchtchev à Pékin en prétextant un prochain voyage du -Russe au Cambodge. A quoi Khrouchtchev de répondre le 30 mars, sous le couvert de son Comité central, en contre-invitant Mao à Moscou « au cours du printemps ou de l'été qui sont dans notre pays des saisons agréables». Dans cet échange de considérations touristiques hilarantes auxquelles ne manquent que les attractions récréatives et les menus gastronomiques, le marxisme-léninisme d'agence Cook s'accompagne de tous les clichés soporifiques sur l'impérialisme américain, la guerre atomique, la coexistence pacifique, le dogmatisme et le révisionnisme, vraiment dénués d'intérêt et ressassés sans cesse par les deux équipes également acharnées à se réclamer concurremment des pompeuses résolutions adoptées à Moscou en 1957
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