Le Contrat Social - anno VII - n. 4 - lug.-ago. 1963

240 tées contre lui, Skrypnyk se suicida dans un moment de dépression nerveuse »41 • Le nom de Skrypnyk ne fut pas le seul à être remi~ en lumière après le XIIe Congrès. Il y eut depws une nouvelle série de « réhabilitations d'anniversaire» à la suite desquelles Postychev, bourreau de Skrypnyk, qui tenta de «marquer au fer rouge » les manifestations du «nationalisme bourgeois ukrainien », caracole maintenant au côté du champion de la «voie ukrainienne vers le ~ocialisme». Le jour du 75e anniversaire de sa naissan~e, la Pravda ( I 8 septembre I 962) rappela les mérites de Postychev, et une cérémonie à sa mémoire eut lieu au musée de la Révolution 42 • Se référant au discours (toujours inédit en Union soviétique) de Khrouchtchev devant le XXe Cong~ès,la Pravda écrivit que Postyshev s'était« éner- ~i9ue~~nt et dir~ctement opposé aux répressions mJustifiees exercees contre les honnêtes gens et aux infractions flagrantes à la loi soviétique», et qu'en conséquence il avait, comme tant d'autres, «péri d'une manière tragique pendant la période du culte de Staline ». Postychev faisait évidemment partie du « noyau léniniste » des vieux staliniens auxquels Khrouchtchev fit allusion, qui eurent le courage de s'opposer à Staline dans sa soif du pouvoir absolu 43 • Le rôle de Khrouchtchev lui-même pendant les années en question ne pourra être établi que si le témoin historique numéro un, Alexandre Poskrebychev, secrétaire personnel de St~line, présumé décédé depuis longtemps, mais qw? en réalité, serait en train de rédiger ses mémoires à Moscou 44 , était autorisé à dire la vérité au lieu de se contenter de fournir une « autoréhabilitation » à l'intention de Khrouchtchev. Méthode dans l'aberration ON DIT que les communistes ne croient pas à l'au-delà, mais qu'ils croient en la réhabilitation posthume. La révolution hongroise refroidit quelque peu cette croyance, sans toutefois l'éteÎ!1dre tout à fait. Tout récemment, les commurustes bulgares illustrèrent cette foi de manière insurpassable en conférant à Kostov le titre de cc Héros du Travail socialiste ». 41. Le ~apport original sur la mort de Skrypnyk dans la Pravda (8 Juillet 1933) déclara qu'il avait « commis une série d'erreurs politiques et que, se rendant compte qu'il n'avait pas le courage d~ !es sur.II?-onter à la bolchévique, il avait e~ .recours _au swc1de ». Cité dans Hryhory Kostiuk : Stalintst Rule in the Ukraine : A Study in the Decade of Mass Terror ( 1929-39), New Yoi:-k1960, p. 64. 42.. Questions d'histoire du parti communiste de l'Union soviêttque, 1962, n° 6, pp. 228-229. 43. Cf. Leonard Schapiro : The Communist Party of the Sovie~ Union, New York 1959, pp. 413-414; Kostiuk, in op. cit., pp. 114-122, donna en outre quelques détails sur la carrière ukrainienne de Khrouchtchev après la chute de Postychev. · · 44. Jacques Tatu in Monde, 28 déc. 1962. Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTB L'Union soviétique a même parfois réussi à tirer une «plus-value » du travail des héros réha-. bilités. A preuve, l'article publié par la Pravda à l'occasion du 9oe anniversaire de la naissance de Tchitchérine. Paru le 5 décembre 1962, au beau milieu des controverses sino-soviétiques, alors que Khrouchtchev était accusé par Mao d'avoir perpétré un «nouveau Munich» à· Cuba, l'article rappelait les négociations de Brest-Litovsk, « traîtreusement ruinées par Trotski», et couvrait d'éloges Tchitchérine, qui parvint à établir un compromis << dicté par les nécessités de la vie » et « permit à notre pays de préserver les conquêtes de la révolution et de rassembler des forces nouvelles pour poursuivre la lutte contre les ennemis de la puissance soviétique ».• ~ Une semaine plus tard, le même argument de « réhabilitation d'anniversaire» fut employé presque littéralement par Khrouchtchev dans son premier grand discours de politique étrangère après la crise de Cuba 45 • . Les réhabilitations ont donc leur utilité, mais t1 en est de même des « dé-habilit~ons ». Le 2oe anniversaire de la bataille de Stalingrad offrit une nouvelle occasion de « dissiper le mythe du rôle prétendument décisif de Staline dans la prép~r~tion et la direction des opérations dans la region de Volgograd » 46 , et de souligner le rôle de Khrouchtchev en tant qu'architecte de la victoire de Stalingrad 47 • De même, Boulganine et Kiritchenko, dont les actions pendant la guerre avaient été saluées dans la première édition de la nouvelle Histoire du Parti (p. 526), disparurent du tableau d'honneur dans la deuxième édition (p. 544), après leur disgrâce. Si l'histoire des réhabilitations n'a pas toujours eu un caractère uniforme, la logique stalinienne n'a .c~pe~dant pas c~ssé ~e s'appliquer aux « déhabilitations ». Depws le Jour où les abonnés à la GrandeEncyclopédie ont reçu la consigne de remplacer l'article « Béria » par un article sur le détroit .de Béring (en utilisant des « ciseaux ou un~ _lame d~ raso~ »), toutes les personnalités P5llittguesqw t~~b~r~nt en disgrâce ont été systematiquement eliminees des ouvrages officiels. Dans les deux cas, il y a de la méthode dans l'aberration. Comment le comprendre, sinon dans 1:esprit de ce q~e, fa1:1td~e mieux, on peut appeler 1« anthropologie politique» - c'est-à-dire en se concentrant sur le rôle des symboles dans un système politique ? Tout comme les confessions des « prgcès en sorcellerie », les réhabilitations à la soviétique sont des instruments politiques : elles ne peuvent être considérées comme sincères 45. Pravda, 13 déc. 1962. 46. Ibid., 27 janv. 1963. La révision du rôle de Staline dans la gue1;e commença longtemps avant. Cf. article de D. M. Koukine in Questionsd'histoire, 1961, no 10. 47. Faisant l'éloge de Khrouchtchev dans un long article publi~ _par la Pravda (30 janv. 1963), le maréchal Tchouîkov réuss~t ce tour d~ force de ne pas nommer la ville, mais il men~1onna « Stalingrad • dans une interview accordée à l'Unità (3 fév. 1963).

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