L. LABEDZ Mikoïan, dans une conversation privée, reconnut en fait que les procès étaient montés de toutes pièces : comme Louis Fischer lui demandait s'il pensait vraiment que Boukharine avait été un saboteur et un espion, Mikoïan répondit : «Non, je ne le crois pas 28 • » On se demande d'ailleurs qui le croit encore, et bien que Boukharine et consorts ne soient toujours pas réhabilités, des références neutres à leur sujet sont apparues sous la plume de communistes polonais et italiens avant même le XXIIe Congrès 29 • Celui-ci, on s'en souvient, adopta une motion de Khrouchtchev concernant l'érection à Moscou d'un monument« à la mémoire des officiels du Parti et de l'Etat qui tombèrent victimes de répressions injustifiées pendant la période du culte de la personnalité» 30 • Or, en dépit de la manifestation émouvante d'une dialectique toute «spiritiste » par D. A. Lazourkina au cours des débats 31 , on n'entendit plus parler de cette proposition : elle partagera sans doute le sort du panthéon qui devait être érigé après le XXe Congrès. A la suite du XXIIe Congrès, la veuve de Trotski, Natalia Sédova, aujourd'hui décédée, fit appel au Comité central du P.C. de !'U.R.S.S. en vue de la réhabilitation de son mari : sa requête resta sans réponse. Mais le journal yougoslave Polityka (16 octobre 1962) rapporta - de « sources généralement dignes de foi )) à Moscou - la réhabilitation juridique de Boukharine et d'autres membres de l'« opposition de droite)), y compris Rykov et Tomski. Le bruit fut repris plus tard par les agences de presse occidentales et par le Times de Londres, sans recevoir aucune . confirmation officielle. Quoi qu'il en soit, il est peu probable qu'une réhabilitation juridique de l'« opposition de droite)) soit bientôt suivie d'une réhabilitation politique. Pour Trotski et les membres de l' « opp(?sition de gauche >> les chances sont encore plus aléatoires. Paradoxalement, les raisons sont maintenant tout autant d'ordre extérieur qu'intérieur. Dans le conflit sino-soviétique, les deux camps s'évertuent à prouver la légitimité doctrinale de leurs positions respectives : les accusations soviétiques d'« ultra-gauchisme», d'« aventurisme>>et de «trotskisme» lancées contre Mao sont rejetées avec indignation par les Chinois, qui contre28. Russia Revisited, Londres 1957, p. 64. 29. Oskar Lange : Ekonomia polityczna, Varsovie 1959, vol. I, pp. 78 et 259 ; Aldo Zanardo in Studi Gramsciani, Editori Riuniti, Rome 1958; Jadwiga Siekierska : Kartki z przeszlosci (Pages du passé), Varsovie 1960, pp. 89, 90, 116, 169 ; Günter Heidorn : Monopole-Presse-Krieg, BerlinEst 1960, p. 342. 30. Izvestia, 30 oct. 1961. 31. A l'appui d'une résolution concernant l'enlèvement de la dépouille de Staline du mausolée de la place Rouge, Lazourkina déclara que « Ilitch » (Lénine) lui était apparu la nuit précédente et lui avait dit : « Il m'est désagréable de reposer côte à côte avec Staline, qui a fait tant de tort au Parti. • (Pravda, 31 oct. 1961.) Membre du Parti depuis 1902, Lazourktt!a avait travaillé avec Lénine, subi de nombreuses années d'emprisonnement et d'exil du temps de Stalineaprà 1937., et enfin, obtenu sa réhabilitationen 1956. ibliotec_a Gino Bianco 237 attaquent en accusant Khrouchtchev de déviationnisme de droite. Dans l'état actuel des choses, il est peu probable que Khrouchtchev (qui évinça Malenkov en l'accusant de boukharinisme) se prive d'une arme doctrinale en réhabilitant Trotski, ou fournisse à Mao une telle arme en autorisant la réhabilitation politique de Boukharine. Vu le désarroi qui règne actuellement dans le monde communiste, la ligne de démarcation entre «réhabilités » et « non-réhabilités » tend à devenir assez floue, confusion encore aggravée par l'ambiguïté des « réhabilitations » officielles pratiquées en Union soviétique. Il n'est donc pas surprenant que les communistes italiens, qui ont du mal à respecter fidèlement toutes les nuances, soient allés plus loin. Après le XXIIe Congrès, Nuova Generazione, organe de la Ligue des jeunesses communistes, commença par réclamer la réhabilitation des anciens bolchéviks, et l'organe central du parti, l' Unità, alla même jusqu'à publier la photographie de Trotski et à donner de la publicité à ses livres, affirmant que cc les révélations du xxe et du XXIIe Congrès ont démantelé pièce à pièce l'édifice tout entier » des procès de Moscou 32 • En vérité, les réhabilitations ont peu de chose à voir avec la logique ; elles sont dictées par les besoins politiques des dirigeants du moment. Chaque fois que la déstalinisation a menacé de prendre des proportions qui puissent compromettre sa légitimité et son propre pouvoir, Khrouchtchev s'est empressé de souligner qu'après tout Staline était marxiste, qu'il avait raison. de lutter contre l'opposition et que ses mérites devaient être reconnus malgré ses erreurs et ses abus de pouvoir. Khrouchtchev développa ce thème en 1956, et le reprit récemment dans sa semonce aux écrivains et artistes soviétiques : La lutte du Parti contre l'opposition fut menée par Staline. (...) L'autorité de Staline s'accrut particulièrement pendant la lutte (...) contre les tendances antiléninistes et les groupes d'opposition à l'intérieur du Parti, trotskistes, zinoviévistes, opportunistes de droite et nationalistes bourgeois. (...) Nous croyons toujours que Staline était dévoué à la cause du communisme, qu'il était marxiste; cela ne peut pas et ne doit pas être nié. (...) Aux funérailles d_eStaline, bien des gens, y compris moi-même, avaient les larmes aux yeux. Et c'était là des larmes sincères (Pravda, 10 mars 1963). Réhabilitation des militaires LE PREMIESRIGNEde la réhabilitation des militaires victimes de Staline apparut dans les numéros de janvier et de février 1956 de Questions d'histoire, qui mentionnaient favorablement, entre autres, les maréchaux Iégorov et Blücher. Par la suite, d'autres chefs militaires furent réhabilités, notamment le maréchal Toukhatchevski. Le nom de ce dernier reparut tout d'abord, entre parenthèses, dans un article d'un certain 32. G, Boffain Unità1 30 Janv. 1962.
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