rev11e historÎIJUe et critique · Jes faits et des iJées Juillet-Août 1963 Vol. VIII, N° 4 LA DÉCOMPOSITION DU MARXISME.-LÉNINISME par B. Souvarine 0 N a suffisamment démontré dans la présente revue que le «marxisme-léninisme» professé à Moscou et à Pékin, ainsi que chez leurs satellites, ne contient pas trace de marxisme et n'offre du léninisme qu'une caricature méconnaissable. Marxisme, socialisme et communisme étaient synonymes avant la révo- · lution d'Octobre, du moins pour les partis de la deuxième Internationale. Le léninisme,· variété spécifiquement russe du marxisme à ses débuts, mais qui dégénéra vite en dogme étatique quand Lénine fut au pouvoir, a engendré sans conteste le pseudo-marxisme-léninisme de Staline détaché de son origine, puis amendé sous les épigones, mais on ne saurait méconnaître que les pires traits du léninisme vivant comportaient en la personne de Lénine lui-même un correctif permanent dont il ne reste rien dans le léninisme mort. Faute de se rendre à ces évidences, on s'interdit de comprendre la stratégie constante et la tactique changeante des politiciens de Moscou et de Pékin, de discerner leurs faiblesses réelles sous des apparences menaçantes, enfin d'interpréter correctement leurs discordes providen- . tielles. C'est ainsi que depuis une quinzaine d'années, les leaders de l'Occident, comme on dit, ont prêté à Staline, puis à Khrouchtchev, et maintenant à Mao, l'intention d'entreprendre une guerre universelle pour imposer leur communisme inexistant à l'humanité anéantie dans un monde retourné au tohu-bohu de la Genèse. Rares furent les observateurs qui, dès 1947, virent dans les perspectives prévisibles un état des choses qui ne serait à proprement parler ni la paix ni la guerre 1 .- 1. Le raisonnement qui aboutissait à cett~ conclusion a été formulé, non dans la présente revue qui n'existait pas à l'époque, mais notamment dans !'Observateur des Deux Mondes, articles intitulés successivement Ni paix ni guerre, Ni guerre ni paix, Guerre et paix (juin, juillet, septembre 1948). A notre connaissance, deux commentateurs qui ignoraient cette obscure publication ont abondé dans le même sens, Louis Fischet et Hans Habe. On pouvait tirer une conclusion analogue du (;rand Schisme de Raymond Aron, paru en 1948, quoique l'auteur ne l'ait pas exprimée en termes expr~s. Biblibteca Gino Bianco . . Il y _aplus d'un demi-siècle que Georges Sorel, dans sa Décompositiondu marxisme, un de ses écrits les plus cohérents et stimulants, ironisait sur « ces publicistes de la défaillance bourgeoise qui transforment une guerre très réelle en une discussion idéologique ». Il entendait la décomposition du marxisme au sens où Charles Andler avait employé le mot avant lui à propos de la révision intelligemment marxiste de certains postulats du marxisme scolastique effectuée par Edouard Bernstein. Et il se proposait de montrer comment il concevait une «nouvelle manière de comprendre la décomposition du marxisme ·» en . spéculant sur la nouveauté du syndicalisme révolutionnaire par contraste avec l'essor du tradeunionisme qui avait inspiré Bernstein. La« guerre très réelle» dont parlait Sorel était alors la lutte des classes, tandis qu'il s'agit aujourd'hui de certaine «guerre froide » surnommée « coexistence pacifique» par ses profiteurs, mais les «publicistes de la défaillance bourgeoise» s'évertuent plus que-jamais à la transformer en une « discussion idéologique », ce qui rend singulièrement actuelle cette autre réflexion extraite du même ouvrage : « ••• De nos jours, une si grande portée ayant été accordée aux idéologies, tout parti est obligé de faire parade de doctrines; les politiciens les plus audacieux ne· sauraient conserver leur prestige s'ils ne s'arrangeaient pour établir. une certaine harmonie entre leurs actes et des principes ·qu'ils sont censés représenter. ». On ne va pas répéter l'argumentation des articles précédemment parus ici m~me sur le prétendu conflit «idéologique » entre communistes soviétiques et _chinois, entre gros-boutistes et petits-boutistes; plus spécialement dans Idéologie et phraséologie (n°·6, de novembre-décembre 1962). La phraséologie ayant bientôt pris tournure de logomachie de plus en plus virulente, le monde est maintenant submergé d'une littérature polémique sui generisqui, du moins, permet de mieux analyserla décompositiongraduelledu marxismeléninisme, la dissociation des parties constitutives de cet ersatz de doctrine, et qui apporte à l'uni-
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