Le Contrat Social - anno VII - n. 4 - lug.-ago. 1963

R. V. GREENSLADE gigues ne lui disent pas grand-chose. Pas plus qu'il n'a de penchant pour la logique impersonnelle ou la théorie administrative. Il se laisse guider par son expérience personnelle et les problèmes économiques nationaux ne font que reproduire pour lui, multipliées, les difficultés qu'il a rencontrées dans sa mine ou sa ferme d'Ukraine il y a bien des années. Le modèle de Khrouchtchev pour résoudre les problèmes économiques est le suivant : l'homme du Parti (Khrouchtchev) voit le problème (la production doit augmenter). 11s'adresse directement à l'ouvrier, explique le but et son importance, gagne la confiance de l'ouvrier et soulève son enthousiasme. L'ouvrier révèle alors un truc de sa façon, grâce auquel on peut doubler la production - un truc qu'il utilisera pourvu que les bureaucrates le laissent tranquille. L'homme du Parti supplante le bureaucrate et il n'y a plus de problème. · Schéma illustré à merveille par une anecdote du début de la carrière de Khrouchtchev et racontée par lui le 29 novembre 1962 devant le Comité central : ••. Cela se passait à la mine Pétrovski. Lors de la révision des normes, je me rendis à la forge où se trouvait un vieil ouvrier. Celui-ci demanda : « Dis-moi, Khrouchtchev, pourquoi envoies-tu une fille qui reste plantée là près de ma forge à faire cliqueter un chronomètre ? Je sais bien pourquoi elle est là : c'est pour vérifier ma norme de production. Ecoute : tu peux venir me demander tout ce que tu as besoin de savoir. Je te dirai quelle est actuellement ma norme et comment elle devrait être augmentée. Mais qu'on me débarrasse de cette fille... » · Puis il ajouta : « Regarde ce que j'ai fait. J'avais remarqué qu'elle mesurait le temps nécessaire pour finir une pièce. J'ai laissé exprès la forge à petit feu. » (Il fabriquait des supports d'isolateurs.) « J'ai pris une tige, je l'ai coupée, je l'ai mise dans le foyer, je l'ai chauffée, je lui ai donné sa forme, j'ai pris une· autre tige. Elle était là, à minuter chaque opération. Après avoir noté le temps, elle calcula la norme et s'en alla. « Je fis alors une grande flamme dans le foyer, où je mis non pas une tige mais plusieurs, et je les fis chauffer. J'ai une presse : je ne façonne pas les supports à la main, comme je l'avais fait devant la fille, mais sous un marteau-pilon. Bang ! et le support est fait. Autant pour le chronomètre et la norme notée par la fille. » Et Khrouchtchev de conclure : Causez avec les ouvriers, dites-leur ce qu'il faut faire et ils vous comprendront parfaitement. Mais pour cela, il faut aller à l'ouvrier non pas comme un administrateur bureaucrate, mais comme un camarade ; alors il vous ouvrira son cœur et vous montrera les moyens qu'il a d'augmenter le rendement et de réduire le prix de revient (Pravda, 20 nov. 1962). Toutes les mesures de réorganisation de Khrouchtchev, aussi bien dans l'industrie que dans l'agriculture, n'ont fait que généraliser ce modèle. Il considère l~s problèmes de l'économie comme une suite de pratiques néfastes - dans les entreprises, les kolkhozes et les organes administratifs Bibroteca Gino Bianco 229 - et il les étale sans fin dans ses discours. Mais il ne donne guère de règles générales pour y remédier. Au contraire, l'administration est pour lui une sorte de trouble-fête permanent .. Cette manière de voir est manifeste dans les mesures concernant l'agriculture. Analysant les projets de gestion de la production devant le Comité central, le 5 mars 1962, il déclara : Les administrations de la production ne doivent pas cesser de justifier le contrôle qu'ellès exercent, elles doivent faire porter leur effort là où se font jour des faiblesses dans l'organisation et la production, elles doivent consolider les secteurs retardataires. Et cette consolidation ne doit pas procéder par voie de directives, de lettres et d'instructions, mais par l'envoi_ d'inspecteurs aux sovkhozes et kolkhozes, directement aux plus petits échelons, afin de trancher sur place les problèmes de production (Pravda, 6 mars 1962). La violente opposition de Khrouchtchev aux bureaucrates et à la bureaucratie est le trait le plus marquant de sa manière de concevoir l'administration. Depuis ses attaques contre les ministères en 1957 jusqu'à la punition infligée au Gosplan en novembre 1962, la rigidité, le compartimentage et les lenteurs de la bureaucratie jouent le rôle du traître de la pièce. Le héros étant, cela va de soi, Khrouchtchev lui-même, l'homme inspiré du Parti, qui voit clairement le but à atteindre, qui découvre un moyen et agit immédiatement sans tenir compte des procédures, des filières, des juridictions et des droits acquis. Il a constamment réduit ou éliminé les bureaucraties gouvernementales (ministère de l'industrie, ministère de l'Agriculture, stations de machines et de tracteurs) pour leur substituer des organes du Parti ou des agencesgouvernementales mineures placées sous la surveillance d'organes du Parti. Cette procédure ne veut pas dire qu'une bureaucratie gouvernementale est remplacée par une bureaucratie du Parti. L'essence d'une bureaucratie (c'est-à-dire de n'importe ·quelle administration) est l'expédition, par une hiérarchie d'autorités, d'affaires courantes bien déterminées, chaque niveau agissant en vertu .d'un ensemble de règles et de responsabilités nettement précisées. Un bureaucrate est un fonctionnaire : un homme du Parti est, ou devrait être, un activiste. Le bon bureaucrate remplit fidèlement sa fonction en se conformant aux règlements. L'homme du Parti idéal atteint un objectif primordial, qu'il lui ait été ou non assigné, sans se soucier des règles. Khrouchtchev est profondément opposé aux règles. Les mesures de réorganisation entreprises par Khrouchtchev ont relâché ou brisé les chaînes administratives gouvernementales avec leurs règles bureaucratiques, et accru le rôle du Parti dans la décision à tous les niveaux. Cela s'est traduit par un double emploi et un flottement ·dans l'autorité, une tutelle mesquine et une intervention arbitraire dans les affaires des entreprises et des kolkhozes de la part d'une foule d'autorités non

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