KHROUCHTCHEV ET LES ÉCONOMISTES par Rush V. Greenslade , . ' , L ES SPECULATIONS qw ont cours a present sur l'évolution future de l'économie soviétique laissent entendre que les dirigeants de Moscou pourraient être amenés à adopter de plus en plus les techniques capitalistes en vue d'améliorer l'efficacité. Comme pour confirmer cette hypothèse, quelques économistes soviétiques ont, ces derniers mois, proposé que la rentabilité soit le but à atteindre et le critère de la réussite dans la direction de l'entreprise. Outre une réforme du système des prix, ils ont demandé que ceux-ci soient reconnus plus explicitement en tant que poteaux indicateurs dans les décisions de l'entreprise. Tout cela rappelle beaucoup le -<< socialisme de marché », version du socialisme qui ressemble étrangement au capitalisme et qui est pratiqué, quoique de manière imparfaite, en Yougoslavie. En effet, il est tentant de supposer - ainsi que les économistes soviétiques semblent le faire - qu'une cerLaine adaptadon au « socialisme de marché » ne serait pas non plus incompatible avec les vues de Khrouchtchev. Dans le passé, n'a-t-il pas tenu à se faire une réputation de « libéral », répétant à maintes reprises qu'en matière d'organisation il était l'adversaire décidé de la rigidité bureaucratique, prônant l'initiative créatrice des ouvriers et des directeurs de production, exigeant que les ressources soient employées de manière efficace et ne cachant pas son admiration pour les effets bénéfiques de la concurrence sur la productivité des fermes et des entreprises privées aux Etats-Unis ? Or cette supposition est dénuée de fondement : la manière de voir de Khrouchtchev est franchement incompatible avec les propositions des économistes.Non pas que ces proposition~ne p~ssent être adoptées en tout ou en parue, mais, le seraient-eJ}es, qu'elles n'auraient pas l'effet attendu. Les exigences de décentralisation en matière de gestion économique émanent d'un petit groupe Bibl;oteca Gino Bianco d'économistes et de certains directeurs d'entreprise, sinon de tous. Dans ces demandes, formulées ces temps derniers, convergent deux courants de pensée qui s'apparentent étroitemenl aux deux idées fondamentales du socialisme de marché exposées par l'économiste polonais Oskar Lange 1 • L'Etat socialiste doit : 1. fixer des prix de marché (ou de cession) qui répondent à l'offre et à la demande; 2. prescrire aux directeurs de production de rechercher le profit maximal - aux prix fixés comme ci-dessus - sans pour cela se mêler de la gestion de l'entreprise. Le premier courant de pensée fut mis en branle en 1959 par L. V. Kantorovitch, économiste mathématicien de Léningrad. Celui-ci fut l'un des inventeurs de la . programmation linéaire, méthode permettant de trancher mathématiquement les questions de choix en présence d'entraves techniques compliquées 2 • En 1959, il publia un ouvrage dans lequel il appliquait 1~ méthode linéaire au problème de la planification économique générale. Un aspect de sa théorie éveilla un grand intérêt parmi les économistes : les opérations pouvaient être faites par des calculateurs électroniques. L'idée que les méthodes mathématiques et les calculateurs électroniques pouvaient être utilisés pour la planification économique faisait alors- l'objet de recherches de la part d'autres économistes soviétiques; les propositions de Kantorovitch tombèrent ainsi dans bien des oreilles attentives et accélérèrent un mouvement déjà en cours. Il existe à présent plusieurs instituts spécialisés dans le développement des techniques mathématiques de planification où la recherche est activement poussée. L'autre trait essentiel de la théorie de Kantorovitch consistait à affirmer que la solution cor1. On the Economie Theory of Socialism, University of Minnesota Press, 1938, pp. 57-142. 2. Par exemple, déterminer les meilleurs itinéraires des navires entre plusieurs ports d'escale, étant donné le fret à transporter d'un point à un autre.
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==