Le Contrat Social - anno VII - n. 4 - lug.-ago. 1963

. ' CLASSE ET PARTI* I par Kostas Papaioannou LORSQUE Marx qui, semble-t-il, ne pénétra jamais dans une fabrique, a formulé pour la première fois son eschatologiedu prolétariat, celui-ci n'était encore, en Allemagne, qu'une « abstraction » dont la réalité ne pouvait être saisie que par anticipation. L'entreprise fondée par Krupp, à Essen, employait à samort, en 1826, quatre ouvriers; en 1835, lorsque fut installée dans ses locaux la première machine à vapeur, elle occupait 67 travailleurs ; leur nombre aura à peine doublé en 1846. A la même date, en France, la ((classe manufacturière» (2.500.000 personnes dont 897 .ooo chômeurs, soit 1.600.000 au travail, sur lesquels 384.700 femmes et 208.000 enfants) ést moins nombreuse que la classe des artisans (3.800.000) et celle des ouvriers agricoles qui représentent la grande majorité de la population active (14 millions). Dans ce monde où l'on avait recensé près d'un million de domestiques et un demi-million de vagabonds et de mendiants, le prolétariat n'était encore qu'un noyau informe, à peine dégagé de la masse des artisans et des hommes exerçant un métier individuel. Et pourtant, c'est sur cette classe encore embryonnaire et quasi inconsciente que Marx a établi sa perspective historique, plaçant toute sa confiance dans le mîrrissement de sa conscience et dans le développement de ses organisations syndicales et politiques. La classe élue SEULE CLASSE capable de s'identifier avec le progrès de l'industrie, synonyme d'anéantissement pour toutes les autres classes ; seule capable de transcender les particularismes et les nationalismes qui aveuglent les autres classes; seule * Une partie de cette étude a été publiée dans Re1 Publica, revue de l'Institut belge de Science politique, n° 4 de 1962., sous le titre : « La fondation du totalitarisme ». capable de s'élever au niveau de l'histoire planétaire; seule classe lucide face aux bourgeois, « agents passifs et inconscients du progrès », aux paysans «barbares », condamnés au «crétinisme propre à la vie rurale », et aux petits bourgeois aveuglés par la défense de leurs intérêts mesquins et anachroniques; seule classe « porteuse de l'avenir», - le prolétariat de la prédication marxiste prend la place du «peuple élu » et s'annexe les attributs les plus exorbitants des« nations cosmo-historiques » dont la philosophie hégélienne avait déjà exalté le « droit absolu » à la domination. « Contre ce droit absolu que possède le peuple qui représente le degré actuel du développement du Weltgeist, disait froidement Hegel dans sa Philosophie du droit (§ 347), les autres peuples sont sans droit; et ceux-ci, aussi bien que ceux dont l'histoire est passée, ne comptent plus dans l'histoire universelle. » Cette vision violemment anti-universaliste du «monopole» historique se transforme dans le marxisme en un messianisme du prolétariat. «Nous ne serons pas infidèles à l'esprit de Hegel», commentait Plékhanov, « le père du marxisme russe», en disant qu'en face du prolétariat révolutionnaire toutes les classes ne comptent dans l'histoire universelle «qu' autant qu'elles ont. favorisé ou empêché le mouvement prolétarien » 1 • Dea Roma ressuscitait, confondue avec le «peuple élu », sous les traits de la « dernière classe ». Ce «messianisme» de la classe explique la place subordonnée qu'occupe la politique en tant que telle dans la théorie marxiste. De là vient également le refus systématique que Marx et Engels ont opposé à la tradition machiavélienne qui met l'accent sur l'élite plutôt que sur la classe, ainsi que la · lutte incessante qu'ils ont menée contre la théorie blanquiste du primat del'« avantgarde ». Ecoutons Engels : 1. G. Plékhanov : Les Questions fondamentales du marxisme, Paris 1947, p. 135. J Biblioteca Gino Bianco . .

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