YVES LÉVY qu'il est aisé d'oublier ensuite. Les alliances qui se forgeraient avant le tour unique seraient conclues après réflexion et discussion, des concessions réciproques leur donneraient consistance et durée. C'est pourquoi nous avons suggéré il y a deux ans un autre système, que nous n'avons d'ailleurs pas exposé avec assez de clarté, et qui a été mal compris. Nous parlions d'adopter le système américain des élections primaires, mais comme en France on ne connaît guère que les élections à la Présidence, et que d'ailleurs ces élections sont à deux degrés (ce qui cependant n'a rien à voir avec les élections primaires), on a cru que nous proposions un système à deux degrés. En fait il s'agit de tout autre chose. Aux Etats-Unis, le mode d'élection des Représentants dépend de la législation des Etats. C'est dire qu'il existe en cette matière une certaine diversité. Cependant, dans un grand nombre d'Etats, l'élection se fait en deux temps. Les électeurs votent d'abord pour désigner un candidat démocrate et un candidat républicain : ce sont les élections primaires. Ensuite vient l'élection du Représentant : les électeurs retournent aux urnes pour choisir entre les deux candidats. Ce système contribue évidemment à maintenir la dualité des partis, comme fait le scrutin à un tour en Grande-Bretagne. Mais il présente un visible avantage : c'est de pouvoir, mieux que le système britannique, et avec moins de risques, conduire à la formation de deux partis. On peut remarquer qu'aux EtatsUnis, il existe deux façons d'appliquer ce système. Dans 1'Est, on préfère d'ordinaire que les élections primaires soient «fermées » : seuls peuvent voter les électeurs qui ont la carte d'un des partis, les républicains étant tenus de choisir entre les prétendants à la candidature républicaine, et les démocrates entre les prétendants à la candidature démocrate. Les Etats de l'Ouest, en revanche, pratiquent les primaires «ouvertes», c'est-à-dire que tous les électeurs peuvent voter, et que chacun d'eux peut désigner qui il veut, sans distinction de partis. Cette dernière formule correspond donc exactement à notre premier tour, mais les prétendants à la candidature sont groupés en deux camps, et seul affrontera le second tour le plus favorisé de chaque camp 5 • C'est cette façon de procéder qui nous semble pouvoir le plus aisément se transporter en France. On définirait deux camps, et nul ne pourrait se présenter au premier tour sans annoncer le camp dont il veut faire partie. Le second tour verrait s'affronter les champions des deux camps. Il va de soi que le champion d'un des camps pourrait très bien, au premier tour, avoir eu moins de 5. Les primaires « fermées ,, sont destinées à éviter la fraude : si les membres d'un parti pouvaient voter pour un membre du parti adverse, ils pèseraient sur le choix du candidat contre qui ils se battront au second tour. C'est un danger qui n'existe guère là où les partis sont nombreux. Les primaires « fermées » ne peuvent d'ailleurs exister que là où les citoyens sont. en grand nombre inscrits dans des partis, ce qui n'est sans doute pas le cas dans les Etats de l'Ouest, ni en France. • BibliotecaGino Bianco - . 207 voix que le second ou le troisième du camp adverse. Mais cela est sans importance, puisqu'au départ les chances sont égales pour tout le monde. Il va de soi également que, les électeurs étant toujours libres de voter à leur guise, ils pourraient parfaitement, au second tour, reporter leur suffrage d'un camp sur l'autre. Et la moindre réflexion montre que ce système, dans presque tous les cas qui peuvent se présenter, tendra à favoriser les candidats les plus proches du centre, car c'est eux qui bénéficieront le plus largement du changement de camp des élecœurs. Il faut insister surtout sur la différence capitale qu'il y a entre notre système actuel ou celui du tour unique et le système que nous proposons. Les dernières élections ont mis en lumière un phénomène essentiel : 1~ stabilité gouvernementale contraint l'opposition à conclure des alliances, et à se répartir les circonscriptions. Ce phénomène s'aggravera considérablement avec le scrutin à un seul tour. Avec ces modes de scrutin, donc, les étatsmajors politiques - celui dont le parti a moins de 100.000 membres, celui dont le parti annonce 400~000 militants, ceux qui sont pratiquement sans troupe - imposent leurs combinaisons à la nation, laquelle n'a qu'une ressource : l'abstention. Ressource dont elle s'est largement servi aux élections de 1962. Et l'on remarquera que l'abstention n'avait pas du tout la même signification du côté de la majorité et du côté de l'opposition. Du côté de la majorité, c'est l'abstention des extrémistes, qui est normale dans le régime des deux partis, où le gouvernement régulier des modérés (modérés de droite ou modérés de gauche) tend à rendre vaine toute activité extrémiste : la masse de la nation (qui partout est modérée) est satisfaite du combat loyal entre les deux équipes, et ne laisse aucune chance aux grandes passions ou aux grandes mystiques politiques. L'abstention de gauche, en revanche, est tout entière le fait des modérés. Certains ont parlé de ID:alaise,et sans doute bien des citoyens ont-ils été troublés par les compromissions avec l'adversaire, puis avec les extrémistes. Mais nous avons montré que l'abstention vient, beaucoup plus encore, de ce que les partis laissent les électeurs sans candidats. En partie par négligence. Mais aussi par tactique, comme. dans la région parisienne, qui représente à elle seule près du sixième des circonscriptions. Avec le système que nous proposons, les intrigues des états-majors et des· comités seront à peu près éliminées. Et il pourra bien y avoir, avant le premier tour, des ententes entre groupes voisins (par exemple, entre deux groupes modérés, pour présenter un candidat unique contre un groupe extrémiste), mais il est vraisemblable que ces ententes auront un caractère nouveau. Jusqu'à présent, en effet, on affronte l'ennemi dès le premier tour, et cela justifie les alliances les plus confuses, et les moins durables. Avec le système des primaires, on ne se bat que dans
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