, t· YVES LÉVY parlementaires ou anciens parlementaires ont tenté de présenter ces référendums comme des plébiscites, dans l'espoir de provoquer chez les électeurs un réflexe antiplébiscitaire. Mais il est certain aussi que ces manœuvres ont échappé à la quasi-totalité des votants, qui ont donné leur suffrage d'après la question posée, encouragés à ce faire la première fois par le parti socialiste, la seconde fois par le parti socialiste et le parti communiste. Quant au référendum du 28 octobre 1962, qui à plus juste titre qu'aucun autre a pu être considéré comme une manière de plébiscite par certains adversaires du chef de l'Etat, .et sans doute par le chef de l'Etat lui-niême, on ne peut guère imaginer qu'il ait paru tel aux électeurs puisque, quelques jours plus tard, on ne retrouva sur les noms des candidats du général de Gaulle que la moitié des bulletins qui avaient approuvé la réforme constitutionnelle. L'analyse des résultats électoraux éclaire d'ailleurs assez bien l'état d'esprit des électeurs. Si l'on compare la statistique de 1962 à celle de 1958, on constate d'abord que la répartition des suffrages entre la droite et la gauche est inchangée : les voix de droite passent de 55,53 % à 55,55 %, celles de gauche de 44,47 °/4 à 44,45 %-La variation - 2 pour 10.000 - est inférieure aux incertitudes de la statistique. D'autre part, on a beaucoup moins voté en 1962 qu'en 1958 : la droite a perdu 1.195.693 suffrages, soit 10,5 % de ses voix, et la gauche 10,6 % des siennes avec 966.698 voix. A droite et à gauche, les phénomènes à expliquer sont les abstentions, et les transferts de voix entre partis voisins. . A gauche, les abstentions nouvelles concernent environ 675.000 électeurs socialistes et 292.000 électeurs radicaux. Ces abstentions n'ont rien de mystérieux : elles proviennent essentiellement d'électeurs qui n'avaient plus de candidat. On remarque en effet que dans 81 circonscriptions, les radicaux avaient un représentant en 1958, mais non en 1962. Ce sont évidemment des circonscriptions où les chances de leur parti étaient nulles ou très faibles. Mais les petits ruisseaux font les grandes rivières : les radicaux ont ainsi perdu plus de 350.000 voix, ce qui est plus que suffisant pour expliquer la régression apparente de leur parti. Il en est exactement de même des socialistes, qui ont laissé 112 circonscriptions sans candidat, renonçant ainsi à 523.000 voix, c'est-à-dire aux quatre cinquièmes de leurs pertes par abstentions. Il est vrai que ces voix ne sont pas toutes restées muettes : environ 100.000 d'entre elles se sont portées sur le parti communiste, dont la très légère progression est donc exclusivement due à la carence des socialistes. Et d'autres voix sont allées au P.S.U. De sorte qu'on peut estimer à environ 250.000 les abstentions socialistes volontaires, attribuables sans doute au malaise provoqué par l'alliance de la S.F.I.O. avec la droite. La partie de gauche du corps électoral n'a, on le voit, guère bougé entre 1958 et 1962 : les iblioteca Gino . 1anco . 205 imprudences de la direction conduisent 250.000 électeurs socialistes à s'abstenir, l'absence de candidats contraint 700.000 électeurs socialistes et radicaux à se taire, tandis que 200.000 reportent leur suffrage sur d'autres partis. A droite, les abstentions ne s'expliquent pas autrement : elles proviennent de poujadistes et autres partisans del' Algérie française, qui n'avaient bien souvent personne à qui donner leur voix. Mais les transferts sont beaucoup plus importants qu'à gauche : !'U.N.R. enlève 1.500.000 suffrages aux indépendants, 750.000 au M.R.P. Phénomène fort explicable : puisque la droite a un chef, qui est de Gaulle, pourquoi voterait- . elle pour les gens de droite qui veulent le renverser (sans qu'on aperçoive ce qu'ils mettraient à la place) et qui de surcroît commettent le péché majeur de s'allier aux socialistes ? L'écrasement de Paul Reynaud est d'une admirable logique : sa circonscription l'élisait parce qu'il était un rempart contre le socialisme, elle l'abandonne lorsque lui-même abandonne son rôle. Aux yeux de l'électeur de droite, il doit être absurde qu'un député de droite s'allie à la gauche pour empêcher un chef de droite de gouverner le pays. ON VOIT donc que les élections de 1962, à qui quelques-uns ont trouvé une saveur toute nouvelle, furent en réalité tout à fait traditionnelles. La croissance même de !'U.N.R. n'a rien d'inédit. Ce parti n'a dépassé que de 392.000 voix le plus haut niveau atteint par le parti communiste (en 1956), et celui-ci recueillait alors les votes de 20,2 % des inscrits, contre 21,2 % aujourd'hui à !'U.N.R. L'U.N.R., à vrai dire, recueille une proportion exceptionnellement forte des suffrages exprimés, mais c'est là un effet des abstentions nouvep.es, qui, nous l'avons montré, proviennent beaucoup plus d'électeurs modérément hostiles que d'électeurs indécis. Quand bien même on ajouterait à !'U.N.R. les candidats M.R.P. ou indépendants qui ont reçu l'investiture de l'Association pour la V0 République, on trouverait que les partisans du chef de l'Etat n'ont vu venir à eux, l'an dernier, que 57,5 % des voix des électeurs de droite (nous disons bien des seuls électeurs de droite) de 1958 3 • Ce qui donne à la vague gaulliste son vrai caractère, c'est qu'elle franchit le seuil qui donne une majorité à l'Assemblée~Encore s'agitil d'une majorité beaucoup plus réduite que celle du Bloc national en 1919. Bref, sous quelque angle qu'on observe les élections de 1962, rien ne permet d'y déceler 3. Selon M. François Goguel (Revue française de Science politique, juin 1963, p. 301, en note) le total des voix qui se sont portées sur des candidats 11 gaullistes », sous quelque étiquette que ce soit, est de 6.548.036. C'est de ce chiffre que nous nous sommes servi.
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