.· YVES LÉVY relève du même esprit, car il s'agit évidemment de rendre la parole à la nation lorsque l'Assem- , · blée, trop confuse, apparaît ingouvernable. La fonction du Président est donc exclusivement de maintenir ou de rétablir la vie constitutionnelle. Son rôle constitutionnel concerne la structure, non les problèmes. En revanche le gouvernement est chargé des problèmes. L'article 20 énonce : Le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation. Il dispose de l'administration et de la force armée. Le chef de l'Etat n'a pas seulement négligé de parler de la force armée (il venait de faire état de son rôle personnel dans l'affaire algérienne), il a 1 aussi escamoté le mot « conduit », de façon à donner à «déterminer» le sens que la Constitution donne évidemment à « conduire ». La substance de « déterminer » devenant disponible, il se , l'est appropriée. Cela correspond à la pratique politique actuelle, non à la Constitution : le chef de l'Etat constitue en théorie permanente ce qui aurait dû n'être qu'une pratique transitoire. Le Premier ministre étant ainsi défini comme un exécutant sans gloire à qui les vues générales sont interdites, une manière de majordome chargé des relations avec l'administration et le Parlement, on conçoit que ce poste ne puisse plus être occupé par un chef de parti ayant une responsabilité politique. Et c'est pourquoi le général de Gaulle, 1 pour re~placer M. Debré, hésita entre un serviteur de l'Etat et un serviteur de l'industrie privée. Une harmonie préétablie Nous AVONS déjà eu l'occasion de reproduire· ici (en septembre 1959) l'analyse sur laquelle_se fondent les idées constitutionnelles du général de Gaulle. Mais il n'est pas inutile de la remettre 1 sous les yeux du lecteur. Il s'agit d'un passage du ' discours prononcé à Bayeux le 16 juin 1946 : La rivalité des partis revêt chez nous un caractère fondamental qui met toujours tout en question, et sous lequel s'estompent trop souvent les intérêts supérieurs du pays. Il y a là un fait patent qui tient au tempérament national, aux péripéties de l'histoire et aux ébranlements du présent, mais dont il est indispensable à l'avenir du pays et de la démocratie que nos institutions tiennent compte et se gardent, afin de préserver le crédit des lois, la cohésion des gouvernements, l'efficience des administrations, le prestige et l'autorité de l'Etat. C'était déjà l'idée du commandant de Gaulle lorsqu'en 1934, publiant V ers l'armée de métier, il notait (p. 209) : « Il y a dans la vie publique tant de trouble et de dépendances que les meilleures activités, lors même qu'elles sont en fonctions, n'aboutissent point aux résultats. » Aujourd'hui encore, la confusion de notre vie politique demeure le point de départ de sa ibliôteca Gino . 1anco .. 203 réflexion constitutionnelle. Dans sa conférence de presse du 29 juillet dernier, reprenant un thème déjà traité à Bayeux, il mettait en parallèle les institutions françaises et celles des pays totalitaires. Il énonçait que les dictatures succèdent à des structures « inefficaces, abusives et déconsi- . dérées », et se flattait d'apporter une solution plus conforme à l'esprit de la démocratie. Il ne songe évidemment pas à comparer la France à l'Angleterre - qui a été et semble rester le point de référence coutumier de M. Debré. Pour le chef de l'Etat, la France fait partie de ce vaste monde où la confusion est de règle, où la dictature en est le correctif habituel, et où seule la .France sera à la fois à l'abri de l'inefficacité et de la dictature grâce à une habile structure où le Président gouverne en vertu de l'approbation populaire, réglant tous les problèmes importants par décrets et ordonnances, tandis que les questions secondaires sont abandonnées à l'Assemblée, qui peut ainsi satisfaire son goût - bien français, semble-t-il - pour les « discussions sans relâche » et les «velléités sans aboutissement». Il y a ainsi entre l'homme d'action et les bavards une harmonie préétablie grâce à laquelle chacun accomplit son destin dans sa sphère, l'un assumant dans la solitude « la charge très lourde d'être réellement le chef de l'Etat » tandis que dans l'hémicycle à paroles, les autres parlent. Mais pour que le système fût viable, pour que les paroles des bavards n'entravent jamais l'action du Président, il faudrait qu'il y eût cloison étanche entre ceux qui parlent et celui qui agit. On est tenté de dire : il faudrait qu'il y eût séparation des pouvoirs. A la vérité, le général de Gaulle est très attaché à cette expression, mais lui-même (dans son discours du 20 septembre 1962) a fait remarquer que notre régime est parlementaire. D'ailleurs la séparation des pouvoirs n'a peut-être pas une importance décisive. Si dans l'Assemblée il existait une majorité ferme pour- s'opposer au ministère ou combattre la politique du chef de l'Etat, la séparation des pouvoirs serait pour ce dernier un écran fort insuffisant. Et pour continuer à gouverner à sa guise, il lui faudrait abaisser l'Assemblée au même niveau que le Sénat, c'està-dire préparer un régime de caractère dictatorial. Ce nouvel aménagement des institutions qui réduirait l'Assemblée au silence, sans doute le · Président y a-t-il songé lorsque, dans son discours du 7 novembre 1962, il a constaté qu'il pouvait désormais à son gré modifier la Constitution par la voie du référendum. Il affirmait ainsi l' existence d'un circuit plébiscitaire parallèle au circuit parlementaire, mais circuit en pleine vigueur, en pleine croissance, tandis que son concurrent s'étiole et dépérit. Le général de Gaulle, on le voit, n'a pas seulement lieu de craindre d'avoir en face de lui une majorité qui veuille une autre politique que la sienne : la seule perspective d'une majorité d'obstruction le conduit à menacer de bouleverser
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