202 nous regrettions que n'eût pas été bien réglée la fonction parlementaire, car bien exercée, cette fonction garantit le caractère démocratique du système, rend aisées les relations du Parlement avec le gouvernement, et donne à ce dernier la plus grande stabilité, la plus grande liberté et la plus grande puissance concevables. Nous rem~- quions aussi que la conception de la fonction présidentielle venait du chef de l'Etat, celle de la fonction gouvernementale de M. Debré. Et nous souhaitions qu'une bonne organisation de la fonction parlementaire vînt affermir toute la pyramide, le vote populaire jonnant naissance à une majorité solide, ce~~ majorité servant de point d'appui à un ministère stable, et le Président jouissant de pouvoirs exceptionnels qui lui permissent, en cas de troubles ou de confusion politique, de remettre en route la machine. Si l'on considère la façon dont a fonctionné le système, on constate d'abord que les divergences de conceptions du chef de l'Etat et de M. Debré ont eu, pour l'interprétation de la Constitution et la pratique de l'action politique, une importance grandissante. Dès les élections de 1958, un parti se forma qui se réclamait du général de Gaulle. Celui-ci, d'abord, inter.dit qu'on se servît de son nom, et parut vouloir demeurer au-dessus des partis. Attitude explicable si l'on repense aux circonstances, et au grave problème national qui était à résoudre. D'ailleurs ce parti même qui se disait gaulliste comprenait une tendance qui songeait moins à suivre le chef de l'Etat qu'à lui dicter une politique. Cependant c'est ce parti - bientôt allégé de ses éléments extrémistes - qui servit de pivot au jeu parlementaire du Premier ministre, jeu parlementaire à l'abri duquel le chef de l'Etat pouvait mener sa politique extérieure avec les pays coloniaux et les Etats étrangers. Toute politique extérieure à long terme a besoin d'être approuvée par la plus large part de l'opinion publique : c'est une condition même de son succès. C'est cette nécessité qui a conduit les Etats-Unis à concevoir le principe de la politique extérieure « hi-partisane », et qui, à l'occasion, incite le ministère anglais à se concerter avec l'opposition. Cette même nécessité pouvait amplement justifier le che( de l'Etat de faire ratifier sa politique par la nation, consultée par référendum. Il était en effet assuré de recueillir ainsi une très large major~té, alors qu'à l'Assemblée nationale, si la question de .confiance avait dû être posée (comme il est vraisemblable), le système constitutionnel aur~t seulemen~ ~e!'lllis de constater qu'il n'y avait pas de maJorite pour s'opposer au gouvernement. Mais dans la suite le chef de l'Etat substitua à M. D~bré, partis~ convaincu du régime parle- ~ent~e - et d'ailleu,rs chef d'un parti jouissant d une unportante representation parlementaire, - un homme dont la faveur du Président était le seul titre à gouverner la France. Un peu plus tard, dans des conditions contraires à la lettre et Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL à l'esprit de la Constitution, le général de Gaulle bouleversait le texte fondamental 2 • Le premier résultat du référendum est d'ôter toute inquiétude au chef de l'Etat concernant sa réélection. l'Aais le sens de la réforme est beaucoup plus profond. Elle correspond à une conception des institutions qui n'est nullement inscrite dans la Constitution et que le discours du 20 septembre 1962 décrit assez crûment. Le Président, disait ce jour-là le général de Gaulle, est « la clé de voûte» du régime. Et ensuite : « C'est lui qui désigne les ministres et, d'abord, choisit le Premier. » En fait la Constitution (art. 8) n'attribue au Président que le choix du Premier ministre. C'est ce dernier qui a la charge de désigner les autres ministres, dont il propose la nomination au chef de l'Etat. Le discours nous apprenait ensuite que le Président, sur le rapport des ministres, « prend, sous forme de décrets ou d'ordonnances, toutes les décisions importantes de l'Etat». La Constitution (art. 13) dit seulement qu'il les signe, selon la tradition qui veut que le chef de l'Etat règne et ne gouverne pas. Mais le général de Gaulle entend régner et gouverner. Aussi réduit-il à néant le rôle du Premier ministre : le Président, dit-il, doit« inspirer, orienter, animer l'action nationale», puis «le Premier ministre et ses collègues ont, sur la base ainsi tracée, à déterminer à mesure la politique et à diriger l'administration ». Le chef de l'Etat, nous allons le voir, a l'habileté de reprendre ici un mot de la Constitution, afin de le détourner de son sens. Elle ne dit nulle part que le Président « inspire, oriente, anime l'action nationale», ce qui définit un rôle d'initiative et de novation, mais précise au contraire son rôle conservateur : il « veille au respect de la Constitution» (art. 5), et si pour quelque raison que ce soit elle n'est pas appliquée, il prend, après avis du Conseil constitutionnel, des mesures exceptionnelles qui « doivent être inspirées par la volonté d'assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d'accomplir leur mission» (art. 16). Le pouvoir discrétionnaire de dissoudre l'Assemblée (art. 12) 2. Dans son discours du 20 septembre I 962, le chef de l'Etat a rappelé que le Président peut proposer au pays, par voie de référendum, 1, tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics ». Mais la Constitution précise : « sur proposition du gouvernement pendant les sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées ». Cela implique que, lorsque le référendum n'est pas d'initiative parlementaire, il est d'initiative gouvernementale· (et non présidentielle) et doit avoir lieu pendant les sessions. Il est évident qu'un référendum d'initiative présidentielle aurait un caractère strictement plébiscitaire, puisque le Président n'est pas responsable devant l'Assemblée. Si l'article II de la CC'nstitution précise que le référendum est proposé par le gouvernement, c'est parce que celui-ci est responsable devant l'Assemblée. Et s'il ajoute que cette proposition doit être faite pendant les sessions, c'est pour donner à l' Assemblée la possibilité de se prononcer sur l'opportunité, le libelli et la date du référendum. Dans le cas où l'Assemblée vote contre le ministère, celui-ci s'en va ou dissout l' Assembl~ : ou bien il n'y a plus de gouvernement ou bien la session est interrompue. De toute façon le référendum cesse d'être légal.
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