200 plusie~ partis) un ~éformateur doit c~~rcher à dissiper la confusion des forces politiques. Mais comme le reclassement des forces politiques n'est pas aisé à provoquer, et qu'il ne peut en tout cas être obtenu rapidement, il lui faut, pour la période intermédiaire, assurer par d'autres voies la stabilité du pouvoir. C'est-à-dire qu'on ne peut échapper à une séparation des pouvoirs, destinée à céder la place, aussi rapidement que possible, à un régime où les pouvoirs seront en harmonie. Ou plutôt disons que dans le meilleur des cas, le détenteur du pouvoir aura l'intention de réaliser cette harmonie. Y parviendra-t-il, a-t-il quelque chance d'y parvenir ? C'est une autre affaire. Pour tenter de voir ce qu'il en est, forgeons un Réformateur idéal. un· Réformateur idéal NOTRERÉFORMATEUestR un être d'exception. Il n'est pas seulement plus patriote qu'ambitieux, ou plutôt : il n'est pas seulement dévoué à sa patrie et dénué d'ambition, il sait aussi qu'un grand citoyen ne peut, à sa patrie, faire un don plus précieux que celui _d'unebonne Constitution. A la faveur des dissensions qui paralysaient l'Etat, il a, pour parvenir au pouvoir, aussi peu que possible recouru à l'illégalité. Il s'est servi surtout de son prestige personnel, car on peut imaginer qu'il s'est illustré dans un moment où l'intérêt national était en jeu : il aura par exemple, lorsque chacun était las des combats, préconisé la poursuite d'une guerre, et la victoire, ensuite, lui aura donné raison. Quoi qu'il en soit, les années ont passé - dix-huit ans peut-être - depuis qu'il a conjuré ses concitoyens de poursuivre la lutte, et maintenant le voici au pouvoir. Il a promulgué une sage Constitution, et il s'efforce d'asseoir solidement le nouveau régime. Par définition, il y a des citoyens qui veulent voir respecter l'ordre des choses, d'autres qui souhaitent que les intérêts anciens cessent de faire obstacle aux intérêts nouveaux. En d'autres termes, il y a des conservateurs et des réformistes. Et chacune de ces tendances se divise en plusieurs courants : on trouve notamment, de chaque côté, un courant extrémiste, de qui l'existence, précisément, a rendu nécessaire un Réformateur. En attendant que ses institutions créent une majorité de gouvernement, comment va-t-il gouverner ? Et d'ailleurs ses institutions ont-elles chance de créer une telle majorité ? Ces questions méritent examen. On n'a guère réfléchi, semble-t-il, à la possibilité de créer, par le seul jeu des institutions, une majorité de gouvernement. On y a pensé cependant. Nous avons eu l'occasion de rappeler ici que des théoriciens (Duguit notamment) avaient au commencement du siècle, pour des raisons de justice électorale, plaidé pour la représentation proportionnelle, et que, devant l' expérience, s'apercevant qu'il importe avant tout de Biblioteca Gjno Bianco LE CONTRAT SOCIAL faire naître une majorité de gouvernement, ils avaient changé d'avis. D'autre part, chacun sait que les majorités anglaises ont pour seule assise le scrutin uninominal à un tour. M. Debré, il y a de nombreuses années, demandait l'adoption de ce mode de scrutin, mais il n'en a pas été question dans le temps où fut mis en place le régime actuel. Il y revient maintenant 1, et c'est de quoi nous reparlerons. Pour le moment, nous devons seulement constater que jamais un Réformateur n'a pensé à créer une majorité par le jeu des institutions. Il se trouve donc réduit, au moment où il doit gouverner le pays dont il a pris en main les destinées, à choisir entre les solutions qui ont prévalu depuis l'Antiquité, et qui sont en nombre restreint. Certains Réformateurs ont voulu en permanence fonder leur pouvoir sur leur prestige, et aux objections de leurs adversaires politiques opposer la confiance populaire. Il y a là ce qu'on pourrait appeler une pétition de principe, car la confiance qui était à l'origine du pouvoir ne peut être invoquée pour justifier sa perpétuatiot:t. Ce qui provoquait une large adhésion à un homme prestigieux, c'était la crainte née d'une confusion politique grandissante. Mais en dominant la confusion, le Réformateur dissipe la crainte, de sorte que l'adhésion tend à s'effriter. S'il n'a rien prévu pour relayer son prestige, le Réformateur doit le maintenir par des moyens artificiels. Il lui faut alors frapper l'imagination par de grandes actions, l'échauffer par de grandes visions, et comme malgré tout ces procédés ne convainquent pas tout le monde, il doit éviter d'être ce prophète désarmé dont parle Machiavel et qui fut brûlé au lieu même où il avait régné, mais se mettre en état de faire par force croire en lui ceux qui cesseraient de croire spontanément. Cette façon de faire a toujours été fort répandue, et elle est de nos jours assez courante, car on a perfectionné la théorie du prophète armé, et on a rendu plus honorable que jamais la persécution des incrédules, pour ne point parler des hérétiques. Dans cette forme de gouvernement, le Réformateur s'identifie au destin de la nation, ou bien à une vérité universelle. De toute façon il incarne le Bien, tandis que ses adversaires personnifient les divers aspects du mal. Un autre moyen est de gouverner avec une minorité plus ou moins forte, en maintenant la division chez ses adversaires. On vit alors dans l'incertitude, voire dans l'inquiétude. Il ·y a là quelque équilibrisme qu'il est malaisé de faire durer. Diviser pour régner peut être un bon frincipe en politique extérieure, où l'essentie est d'être habile. En politique intérieure, ce n'est qu'un expédient. On s'use à user de finesses, et il convient qu'une bonne structure vienne relayer l'habileté. Reste donc la troisième solution, qui est de I. Dans Au service de la nation, Paris 1963, pp. 207-209._
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