/\ LA TACHE DU RÉFORMATEUR par Yves Lévy ,QUE s'inspirant de Solon un Réformateur donne des lois et quitte le pays, c'est ce qui n'arrive guère. Il n'y a pas lieu d'en être surpris. Observant que la réforme de l'Etat ne peut être l'œuvre que d'un homme seul, Machiavel ajoute qu'on se trouve alors dans wie étrange contradiction, car cet homme n'a pas pu s'emparer du pouvoir par des moyens légaux, et il n'y a pas d'apparence qu'il ait pour souci essentiel d'être le restaurateur de la liberté. On doit craindre, pense Machiavel, qu'il ne s'efforce avant tout d'affermir son pouyoir et de le perpétuer. Structures et problèmes A LA VÉRITÉ, on peut avoir des hommes en général - et nommément des Réformateurs - meilleure opinion que le secrétaire florentin. Mais quand on supposerait les hommes plus divers qu'il ne dit, sa façon de voir n'en serait pas moins juste. Si par miracle le Réformateur n'était pas un ambitieux, s'il était un patriote véritable, du moins faudrait-il le classer parmi les hommes d'action. Or c'est un trait constant des hommes d'action que de sous-estimer les structures, que de surestimer les problèmes. De bonnes structures répandent leurs ·bienfaits à travers l'espace et à travers les sièclés, dans les affaires et dans les âtnes. Mais l'homme d'action ne s'en doute guère. Confiant dans. sa propre habileté, dont il a l'expérience, dont. témoigne le rôle qu'il joue, il veut résoudre les problèmes graves dont la ·c. onfusion ·précédente brouillait les données et qui paraissaient · insolubles. ·Car toujours les problèmes sont là, multiples et pressants, et si chaque jour voit s'émousser des problèmes anciens - 9u'ils aient ou .non été résolus, - chaque joµr voit s'accuser les traits de problèmes nouveaux, qui accaparent l'attention de l'homme d'action, envahissent tout son horizon. iblioteca Gino . 1anco Réformer les structures, c'est wie œuvre de patience, et l'on travaille souvent pour que d'autres, plus tard, puissent gouverner sagement. Impatient de se mesurer aux problèmes, l'homme d'action est tenté de briser les structures plutôt que de les ordonner. Il rompt les liens qui pourraient l'enchaîner, il détruit ce qui risquerait de s'opposer à sa volonté. Convaincu qu'il voit plus clair que tout autre, il aspire presque nécessairement à affranchir son pouvoir de toute résistance, à se rendre indépendant de tout contrôle. Bref, l'homme d'action n'a pas le temps d'attendre qu'une bonne structure ait porté ses fruits. Il s'agit là, ou peu s'en faut, d'une nécessité historique, dont le premier terme est précisément qu'il faut du temps pour qu'une réforme sagement conçue fasse sentir ses effets. En histoire, il n'y a pas de causes : il y a des situations. Des institutions nouvelles sont un élément nouveau introduit dans une situation. Et si la situation précédente a pour trait dominant la confusion des forces politiques, cette confusion ne peut être dissipée du jour au lendemain par raison législative. Pendant la pédode de clarification de la vie politique, il faut que le pouvoir soit fermement exercé~ C'est-à-dire que pendant cette période - qui peut être longue - on doit affronter wie situation contradictoire. Une structure politique s·aine implique une parfaite unité du pouvoir (comme nous avons tenté de le montrer ici en mars-avril 1961), et la période de clarification néce;Ssaire suppose un certain degré de séparation des pouvoirs. · · Pour exprimer la chose en termes moins théoriques, rappelons que la seule structure saine, dans un régime démocratique, est celle où un parti majoritaire donne à ses dirigeants la possibilité de gouverner de façon cohérente et suivie. Lorsqu'il n'y a pas de parti majoritaire (ou à la rigueur wie coalition ferme et durable entre
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