198 chtchev ne le cède en rien à Mao pour dénoncer les « forces agressives » du capitalisme, vitupérer les « milieux militaristes » américains, évoquer la menace d'une guerre thermonucléaire, pourfendre en paroles la réaction et l'impérialisme. Il prétend même (discours du 19 juillet) que « l'impérialisme tremble aujourd'hui devant la puissance ~u camp socialiste », autre version du t_igrede papier qui frémit sous le vent <l'Est. Mais les gens de Moscou ont fini par réviser le léninisme sur un point, sur la théorie de l'impérialis~e liée à ~a perspective fataliste de guerre mondiale, tandis que les gens de Pékin rabâchent leur leçon ~al apprise, en contradiction burlesque avec la coexistence pacifique dont ils se réclament (cf. K_h~ouchtchev révisionniste, dans notre numéro de Juillet 1960). Staline n'a laissé derrière lui que des hommes sans envergure intellectuelle à la mesure des- révisions nécessaires de l'héritage doctrinal. Cependant tout porte à douter que les choses en restent là, que la double décomposition théorique et pratique du marxisme-léninisme ne s'accentue pas sous l'impulsion des ressorts de la disc?rde qui doit s'amplifier par une sorte de logique interne, là où les armes de la critique remplacent la critique par les armes. Signe annonciateur, l'article de la Pravda qui (27 juillet) affirme comme une découverte récente : « Ni Marx ni Lénine n'ont jamais considéré leurs conclusions comme des dogmes éternellement applicables sous une forme immuable. » A partir de ce postulat, si banal soit-il, on entrevoit clevastes perspectives. B. SOUVARINE. P.-S. - Cet article écrit dans la première quinzaine d'août ne sera plus up to date quand il sortira des presses en septembre : le déballage sino-soviétique bat son plein depuis lors et il n'est plus nécessaire de démontrer ce dont Pékin et Moscou nous apportent les certitudes. Il est prouvé désormais que la pomme de discorde a eu forme de bombe atomique, car les Soviétiques n'ont même pas démenti les allégations chinoises selon lesquelles un accord explicite conclu en 1957 a été rompu en 1959, d'initiative moscovite. Que s'est-il passé entre ces deux dates ? La visite de Khrouchtchev et Malinovski à Pékin en juillet-août 1958, interprétée par la presse occidentale comme attestant la subordination de la diplomatie soviétique à la terrible puissance chinoise. Faut-il penser qu'à cette occasionKhrou~ chtchev se soit convaincu un peu tard des inconvénients d'accroître les.moyens militaires de partenaires décidés à mener une politique étrangère indépendante, à passer outre au besoin à des conseils de prudence ? La question est secondaire, car en tout état de cause les communistes ne se considèrent jamais engagés par leur signaBiblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL ture et il est possible que la promesse faite en 1957 impliquât une restriction mentale. · Les Soviétiques exploitent à fond les fanfaronnades insensées des Chinois qui, aujourd'hui,. crient à la calomnie quand on prend au mot leurs théories belliqueuses, mais ils .sont plus menteurs les uns que les autres : les Soviétiques sachant que leurs « chers camarades» n'auraient aucune envie de se suicider en sacrifiant la moitié de leur population s'ils possédai·entdes bombes atomiques, les Chinois ne pouvant avouer leurs arrière-pensées de chantage ni rétracter de façon convaincante leurs sottises sur l'issue éventuelle d'une guerre thermonucléaire. Pour les uns et les autres, les bombes atomiques ne servent qu'à intimider le tigre de papier, mais ils ne s'entendent pas sur les risques à courir, n'étant pas également certains de la patience illimitée des Américains. Le précédent de la guerre de Corée sert sans nul doute d'argument-massue aux Chinois, mais n'indique nullement aux Soviétiques jusqu'où ils pourraient aller trop loin. A cet égard, il convient de rappeler les sages avertissements donnés par M. Christian Herter, puis par M. Douglas Dillon, en octobre 1959, d'après lesquels les Etats-Unis « rendront Moscou responsable des actes d'autres nations communistes » et, puisque les camarades chinois reconnaissent le leadership soviétique, « les hommes du Kremlin doivent partager la responsabilité des actions de Pékin » (cités plus longuement dans notre numéro de mars-avril 1961, article Khrouchtchev et Mao, p. 77). Les Chinois avaient beau jeu à prendre des poses menaçantes à l'abri de la protection soviétique; dorénavant, ils s'assouviront en paroles qui ne feront que souligner davantage leur impuissance. De Moscou, enfin, vient l'aveu : « Il ne s'agit plus pour nous d'un différend idéologique, mais d'une dispute qui intéresse l'ensemble de l'humanité», et cet autre : « Les prétentions chinoises se résqment en fait en une seule phrase : donneznous les armes nucléaires » (Monde du 19 août). Cela coupe court à bien des controverses, mais sans épuiser une matière qui fourmille de thèmes obscurs ou imprévus à mesure que les champions du marxisme-léninisme poursuivent leur règlement de comptes. Les yérités en chaîne se succèdent, mêlées aux mensonges les plus grossiers, et peut-être finira-t-on par savoir, entre autres, de quoi et comment est mort Kao Kang. Les deux équipes dirigeantes ont encore bien des raisons de taire les vérités capitales dont la révélation serait aussi dommageable' à l'une. qu'à l'autre. Mais d'ores et déjà une grande leçon se dégage qui enseigne à tous combien l'on a toujours eu tort en Occident de surestimer constamment un ennemi dont toute dérogation au secret professionnel trahit la faiblesse intrinsèque.
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