Le Contrat Social - anno VII - n. 4 - lug.-ago. 1963

196 des terres calcinées ou vitrifiées où ne subsisterait plus âme qui vive ? ». Ainsi revient sur le tapis la fameuse révélation de Tito, confirmée à présent par Moscou en ces termes : « Certains dirigeants chinois ont même parlé de la possibilité de sacrifier des centaines de millions de gens pendant la guerre. » De qui s'agit-il ? Tito et Khrouchtchev font preuve jusqu'à ce jour d'une étrange et généreuse discrétion en ne nommant personne, mais tout laisse entendre que leur mutisme sur ce détail fait partie des ménagements accordés encore à la piteuse « personnalité» intellectuelle de Mao. Il y a beaucoup d'allusions, de sous-entendus menaçants dans la polémique en cours et les antagonistes ne se pressent pas de vider leur sac. Mais la vérité sort de la bouche du poète et puisque le communiste turc Nazim Hikmet n'a pas hésité à traiter Mao d'imbécile, c'est qu'il traduisait l'opinion des hautes sphères moscovites bien instruites sur le génial inventeur du bricolage sidérurgique et inspirateur malavisé d'un communisme où le peuple chaussé de lapti (tille) « mange de la maigre soupe aux choux dans une bassine collective », comme dit à Moscou le Comité central. Toutes les attaques qui, dans la presse soviétique ou apparentée, discréditent et vilipendent « certains camarades» qui ne comprennent rien à rien et font le jeu de la réaction impérialiste, visent et touchent Mao, l'homme éminentissime qui a découvert les « contradictions » entre l'eau et le feu, entre l'enclume . et le marteau, entre la pluie et le beau temps. C'est dans « l'Occident pourri», honni des slavophiles au x1xesiècle, que des soviétologues improvisés, des politiciens touche-à-tout et des universitaires illettrés ou pervertis prennent un Mao pour un penseur. Il est vrai que dans le domaine de l'idéologie, les tenants du marxisme-léninisme rivalisent d'érudition et de talent : deux échantillons de leur savoir en porteront témoignage. « Selon les marxistes-léninistes, la guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens », écrit le Comité central chinois pour qui, hors de « cette thèse scientifique marxiste-léniniste », il n'est point d~ salut. On apprend ainsi que Karl von Clausewitz, auteur de cette sentence dont Lénine a fai! un aphorisme et que répètent à l'envi une multitude de perroquets, est un éminent théoricien du marxisme-léninisme. Faut-il démontrer au surplus, qu'une idée relativement juste dan~ un certain contexte historique devient une ineptie appliquée par des primaires à n'importe quelle~ circonstances de temps et de lieu ? De son côté l'autre Comité central, réputé infaillible avant 1~ dissidence chinoise, prononce que les conceptions · élaborées à Pékin, « prévoyant la création d'une civilisation mille fois supérieure sur les cadavres de cent_ai1?-eds~ millions de _g~ns (...), sont en contradiction criante avec les 1dees du marxismeléninisme ». On apprend ainsi que repousser avec h~rreur l'usa~e de~ ~r~es atomiques revient à fiure du marxtsme-lenuusme sans le savoir. Telles _, Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL sont pourtant les pauvretés qw unpressionnent en Occident les docteurs ès sciences idéologiques.·_ LE COLLOQUE de juillet n'a même pas été capabie d'accoucher d'un compte-rendu sommairé, et pour cause, car il eût soit révélé quelque chose d'un marchandage inavouable, contraire à l'idéologie de façade, soit répété les poncifs éculés, les accusations déloyales, les injures implacables dont la presse déborde chaque fois que gros-boutistes et petits-boutistes se mesurent en public. Il a pris fin en renvoyant la discussion aux calendes grecques et sur une agape qui, Khrouchtchev présent, se tint « dans une atmosphère amicale », " ose dire le communiqué officiel : des parvenus qui se considèrent réciproquement comme félons, traîtres, renégats, profiteurs, chauvins, nationalistes, racistes, trotskistes, aventuriers, capitulards, fauteurs de guerre atomique, etc., se quittent bons amis et, impuissants â s'entendre comme à rompre, reprennent de plus belle leur échange de platitudes contradictoires sur .le marxisme-léninisme tout en rivalisant de surenchère pour anathématiser un impérialisme américain imaginaire et prophétiser l'avènement prochain du communisme sur toute la planète. Mais les écrits restent. A présent les Chinois accusent leurs frères soviétiques ni plus ni moins que de « violer les principes révolutionnaires des déclarations de 1957 et 1960, [de] renoncer à la mission historique de la révolution mondiale prolétarienne et [de] trahir la doctrine révolutionnaire du marxisme-léninisme». Ils les accusent encore tout simplement de trahir « les intérêts de l'ensemble du prolétariat international et de tous les peuples du monde », voire de « défendre les intérêts du capital monopoliste », bref, de se comporter en ennemis jurés du communisme. Un long passage de leurs thèses filandreuses et indigestes revie~t à constater la persistance des classes sociales et à contester l'instauration du socialisme en U.R.S.S., à répudier le nouveau programme du P.C. soviétique promulgué naguère à grand vacarme comme le « Manifeste communiste du xxe siècle». A côté de cela, les reproches d'opposer « les chefs aux masses », de s'attribuer « le mérite de tous les succès », d'intervenir « brutalement dans les affaires intérieures des partis et pays frères » pour en « changer les dirigeants », de « faire preuve d'un véritable égoïsme national » et d'.un « chauvinisme de grande puissance », d'appliquer une « politique sectaire et scission- ~ste »,. etc., ~e tels reproches apparaissent de dimensions mmeures. Pour l'essentiel Mao renouvelle .contre les frères soviétiques les libelles féroces de Lénine contre les « social-chauvins » et les « social-traîtres » de la deuxième Internationale. · La réplique des accusés s'avère jusqu'à présent d'une faiblesse insigne et révèle une perplexiœ extrême. Elle consiste surtout à nier sur un ton

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