166 · pétue lui-même. Le vote n'a toujours aucune valeur. Dans le Parti, les faibles indices d'une transmission de l'autorité ne vont pas au-delà des comités provinciaux : le « pays légal » est peut-être passé d'une douzaine à cent ou deux cent mille personnes. Il n'y a pas croissance de la démocratie, mais seulement expansion de l'oligarchie : le fait que le milieu dirigeant romain est passé de quelques dizaines de sénateurs à quelques milliers de prétoriens ne s'est traduit par aucun avantage démocratique. Cela n'exclut pas que ces changements puissent mener indirectement à une démocratisation, puisqu'ils sont peut-être le commencement d'une certaine désintégration de la machine gouvernementale ; mais là n'est pas la question. En partie à la suite des initiatives de I<.hrouchtchev, le pays - en particulier ceux qui, dans les grandes villes, sont le plus sensibles aux changements politiques, surtout l'élite intellectuelle - aspire à de plus grandes libertés et à des améliorations économiques. En même temps, continue la lutte des fractions dans l'appareil. Dans ces conditions, il est naturel qu'un groupe exploite l'état d'esprit du peuple et des intellectuels contre ses adversaires ; les campagnes de Khrouchtchev contre le passé stalinien peuvent lui valoir un appui considérable hors du Parti et même à l'intérieur du Parti. La question est de savoir jusqu'où les réformateurs khrouchtchéviens sont prêts à aller pour satisfaire vraiment les aspirations naissantes. Pour cela, on peut examiner le chemin déjà parcouru et commencer par énumérer les domaines dans lesquels les caractéristiques « permanentes » du stalinisme continuent de se manifester : I. L'essentiel, c'est que la bureaucratie du Parti qui se perpétue elle-même demeure en place ; elle n'a en rien partagé son pouvoir avec une autre couche de la population ; 2. Le paysan, en dépit d'aménagements mineurs .des conditions de jouissance, continue d'être un serf collectivisé ; 3. Les syndicats restent, en pratique, de simples auxiliaires de l'appareil du Parti et du gouvernement; l'ouvrier n'a toujours pas son mot à dire sur les salaires ; 4. Le consommateur, bien qu'à un ·degré moindre qu'auparavant, doit toujours s'accommoder d'un bas niveau de vie, la proportion du revenu national affectée aux biens d'équipement et aux BibliotecaGino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE dépenses d'armements étant plus élevée que ce qu'il accorderait librement ; 5. Le « réalisme socialiste » reste le canon des · arts ; l' œuvre hétérodoxe demeure bannie ; 6. Le contrôle de tous les organes d'information demeure un monopole du Parti. Les émissions des radios. étrangères sont brouillées. Les livres étrangers ne sont admis qu'après censure des bureaucrates culturels ; 7. Les minorités nationales continuent de vivre sous la surveillance étroite de Moscou. De grandes épurations, ordonnées en représailles contre un nationalisme pourtant des plus modéré, ont balayé dernièrement la direction des partis de diverses Républiques, de la Lettonie à l'Azerbaïdjan et à l'4sie centrale ; l'afflux des Russes a pratiquement abouti à la partition du Kazakhstan; 8. Les voyages à l'étranger sont réservés à un nombre limité de citoyens ; 9. Le réseau des camps de travail forcé, quoique fortement réduit depuis Staline, continue à fonctionner. Les lois contre l'opposition politique restent draconiennes, comme l'atteste l'affaire Ivinskaïa ; · 10. L'histoire politique de !'U.R.S.S., y compris la collectivisation et les épurations, continue d'être enseignée d'une façon absolument fausse, de même que l'histoire des pays étrangers. Liste impressionnante... Et que lui opposer ? Que la même politique de base était, sous Staline, imposée de manière encore plus rigide et plus intolérable. Pour qui a subi le supplice des scorpions, c'est un soulagement de voir le bourreau revenir au fouet. Mais, s'il ne faut pas ignorer le changement en mieux des conditions régnant en U.R.S.S., une double objection n'en demeure pas moins : d'abord, le fouet est assez déplaisant; ensuite - et surtout - la société soviétique demeure divisée en fouetteurs et fouettés, ceux-là conservant le droit de décider quelle forme les rapports réciproques prendront à l'avenir. Dans .lamesure où la nouvelle image de l'Union soviétique obscurcit ces faits, elle constitue un dangereux mirage. Tout en appréciant les améliorations intervenues et en en espérant de nouvelles, il faut se garder des illusions. (Traduit de l'anglais) ROBERT CONQUEST. . 0
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==