R. CONQUEST sinon théoriquement, les sovkhozes et les kolkhozes.) En général, les gigantesques entreprises de Khrouchtchev, accompagnées d'un énorme battage publicitaire, ne font qu'effleurer les vrais problèmes. La décentralisation de l'économie, pour citer un autre exemple, a certes apporté quelques avantages, mais, pour l'essentiel, elle a simplement substitué l'appareil du Parti et du Gosplan aux anciens ministères. Il n'est pas question d'une véritable réforme économique, comme un changement révolutionnaire du système d'approvisionnement et de distribution, par exemple sur le modèle yougoslave. Comme dans les domaines civique et culturel, on constate, quand la poussière retombe, un certain progrès, mais à une échelle modeste. Et même si Khrouchtchev est immodeste à ce propos, nous n'avons pas à le croire sur parole, mais à laisser parler les faits. Boris Nicolaïevski a qualifié la période de Malenkov de «rationnelle» et celle de Khrouchtchev de «mytho-poétique ». Le « style de direction » de Khrouchtchev, comme disent les Russes, est caractérisé par de vastes plans et initiatives qui promettent des résultats mirifiques pour plus tard. Par exemple, sa promesse réitérée de rattraper les Etats-Unis pour la production de viande et de lait fut annoncée à grand renfort de trompe, et bien que tous les experts impartiaux l'eussent jugée chimérique, elle n'en reçut pas moins beaucoup de publicité jusqu'en Occident ; quand cette promesse fut abandonnée au bout de quelques années, cela passa plus ou moins inaperçu, d'autant que l'attention était requise par les perspectives spectaculaires du plan septennal. Lequel fut dépassé à son tour par le plan à long terme de l'an dernier. Dans chaque cas, un air de dynamisme et de confiance en soi émanait de Khrouchtchev et de ses suiveurs. Si les plans s'évaporent, l'air de confiance demeure, et le public a toujours devant les yeux, même à l'étranger, un tableau fait d'immenses perspectives économiques. Même la propagande de Staline n'a pas été sans donner des fruits. Sa méthode consistant à viser haut et à cacher les résultats est comparable à celle de Khrouchtchev : ce dernier donne les chiffres des pl:ins, et, plus tard, laisse transpirer le fait qu'ils n'ont pas été réalisés, comptant sur les glorieux avenirs successifs pour détourner l'attention de l'échec du plan précédent. L'un des rares domaines - peut-être même le seul - où l'Union soviétique soit vraiment en tête est celui des fusées. Khrouchtchev a bâti là-dessus l'image non seulement de la science la plus avancée du monde, mais aussi de la société la plus vivante et la plus progressiste. Ce qui, à son tour, n'a pas été sans effet sur des personnes qui ne nourrissaient par ailleurs aucune sympathie pour le système soviétique. Si les fusées sont le critère, l'Allemagne hitlérienne était en 1944-45 la société supérieure. Biblioteca Gino Bianco 165 L'IMAGE personnelle de Khrouchtchev, distinguée de celle de son régime, ne remporte pas un succès complet en Occident, non plus qu'en Russie d'ailleurs. Pourtant l'idée d'un personnage dynamique, sans complexes, plutôt clownesque, certes rude et brutal à certains égards, mais foncièrement sympathique et honnête, continue à faire son effet à l'étranger, en particulier en Grande-Bretagne, où l'on apprécie une certaine rusticité et où, à un moment donné, la pipe d'« Uncle J oe » faisait contrepoids aux témoignages sur les épurations et les camps de travail forcé. A l'époque, toutefois, Staline était un allié de l'Occident, alors qu'aujourd'hui la plupart des Occidentaux voient dans la Russie, plus ou moins automatiquement, l'ennemi. Aussi la méconnaissance de Khrouchtchev par l'Occident a-t-elle plus de chances de ressembler à l'idée que certains se faisaient de Hitler avant la deuxième guerre mondiale, celle d'un personnage ridicule à la moustache en brosse, ce qui ne les empêchait pas de reconnaître qu'il était en même temps un dictateur terroriste. Khrouchtchev a certes altéré l'image de la bonne pâte d'homme en tapant du soulier aux Nations unies, en s'en prenant violemment aux dirigeants ouvriers et syndicalistes occidentaux et en menaçant de lâcher ses fusées. Mais si ce comportement a affecté sa popularité, il n'a pas détruit complètement l'idée qu'il n'est qu'un plaisant charlatan qui ne doit pas être pris au sérieux. Sans doute ce Khrouchtchev des caricatures ne vaut-il qu'à un niveau très bas, sur la masse à peine consciente de la politique internationale. Pourtant les instincts et les sentiments du grand public sont un facteur politique important en Occident. De plus, cette sorte de méconnaissance ne se confine pas aux gens sans instruction : si pour ces derniers seulement elle constitue l'image quasi complète du dirigeant soviétique, parmi les couches plus subtiles et politiquement conscientes du public occidental, pareilles notions entrent aussi à un degré plus ou moins grand dans l'idée générale qu'on se fait de Khrouchtchev, quand bien même seraient-elles en partie contrebalancées par des jugements plus réfléchis. QUELest donc le bilan de la période khrouchtchévienne ? Si l'on considère le critère intérieur fondamental, la liberté civile, les améliorations depuis Staline sont presque entièrement négatives. Le citoyen n'est plus si exposé, loin de là, à l'action terroriste, oppressive ou économiquement préjudiciable de l'Etat ; dans ce domaine, une « libéralisation » limitée a bien eu lieu. Mais quant à une amélioration positive de sa situation politique, le progrès est quasi nul. Le citoyen a aussi peu à dire sur la façon dont le pays est gouverné qu'au temps de Staline. Tout le pouvoir demeure entièrement aux mains d'un appareil qui se per-
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