... Dix ans après Staline INHUMAIN, TROP INHUMAIN par B. Souvarine UN SILENCE de mort dans la presse soviétique, le 5 mars dernier, a marqué le dixième anniversaire du décès de Staline. Quand on sait comment cette presse commémore d'habitude les anniversaires les plus insignifiants, et si l'on se souvient des louanges délirantes que ladite presse, chaque jour, à chaque colonne, publiait naguère en hommage au despote paranoïaque, on ne peut se défendre de songer à la «justice immanente » dont se gaussent les communistes. Il est vrai que le 8 mars, dans un interminable discours adressé aux intellectuels soviétiques asservis, Khrouchtchev s'est avisé inopinément de rappeler les grands mérites «marxistes» de celui qui a sorti du rang et promu les dirigeants communistes actuels. Selon le principal profiteur et parvenu du stalinisme, l'accomplissement des pires forfaits serait parfaitement compatible avec le «marxisme» tel que lui et ses pareils le comprennent, tel que l'entendent aussi la plupart des gens qui n'ont pas lu une ligne de Marx. Mais Khrouchtchev n'a fait que réitérer sa profession de foi prononcée en janvier 1957 : «Personnellement j'ai grandi sous Staline. (...) Je suis fier que nous soyons staliniens. » Au nom de l'oligarchie dominante, il souligne tantôt les bons côtés de Staline, ceux que justifie l'actuel état des choses soviétiques, tantôt les mauvais, gros de conséquences désastreuses, quitte à s'empêtrer dans des contradictions insolubles devant le public doué de quelque mémoire. Il ne peut plus cependant empêcher indéfiniment la vérité de se faire jour, même si le prochain congrès communiste décidait d'exhumer le cadavre de Staline pour le remettre au mausolée. On ne saurait épiloguer comme il convient sur la vie et la mort de Staline pour la simple raison qu'il n'y a point de vocabulaire adéquat aux abominations de son règne. Les termes les plus Biblioteca Gino Bianco péjoratifs, les adjectifs les plus méprisants, les plus fortes expressions de dégoût et d'indignation ne seront jamais à la mesure de la sinistre brute qui, ayant plongé la civilisation russe dans la barbarie, s'est concertée avec un Hitler pour plonger le monde dans une guerre atroce. Tolstoï a écrit vers la fin de sa vie : « A l'heure actuelle le gouvernement russe se trouve précisément dans la situation dont parlait Herzen avec horreur. Il représente ce Tchingis-Khan avec télégraph~ dont l'éventualité épouvantait Herzen. » ~t il mentionnait parmi les moyens que la technique moderne met à la disposition de« notre TchingisKhan contemporain », en plus du télégraphe, non seulement les chemins de fer, les canons à tir rapide, la presse à grand tirage, mais en outre un simulacre de parlement, un ministère responsable, un appareil judiciaire, une Académie, _des universités 1 •.• Ni lui ni Herzen ne pouvaient prévoir ce que l'avancement des sciences aj?uterait aux capacités d'oppression du despotisme à venir. Quand les compagnons de Lénine traqués, promis à la torture et au massacre, comprirent qu'ils avaient affaire à un Tchingis-Khan armé de toute la technique de l'époque, il était trop tard. Et les mots sont impuissants à rendre compte du cauchemar qui a imposé à la Russie un recul moral de quatre siècles. Comme s'il était besoin d'illustrer cette observation, on a vu Staline imposer l'apologie d'lvan le Terrible, de même que le stalinisme a fait célébrer tout récen1n1ent l'anniversaire de Tchingis-Khan par les Mongols. Dans le discours secret de Khrouchtchev au xxe Congrès, où il est maintes fois question de victimes innocentes par «milliers» qui deviennent finalement des millions, on relève quantité d'allusions aux « pressions physiques », aux « mé1. L.N. Tolstol : Tchi,wis-Khan avec ,,11,graph• ( Sur l• gDllfJlmffllmt nu11). Typographie coop&ativc • Solouz •• 3, rue Beaumer, Paria, 1910.
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