68 inciter de vraies puissances à se combattre. Leur logomachie qui érige en stratégie la dérision du « tigre de papier» et en tactique la retraite devant Quemoy et Matsu a peu de chances de convaincre, hors de Chine. Sur l'idéologie, rien ne sépare les controversistes qui se réclament obstinément de déclarations communes adoptées en 1957 et en 1960. Ces déclarations alors pompeusement dénommées « charte du communisme » par leurs auteurs étaient chacune la somme des lieux communs qui emplissent la presse et la propagande communistes à longueur d'année, des banalités rebattues qui tiennent lieu d'idées-forces aux impérialistes de Moscou et de Pékin ambitieux de coloniser la planète. Maintenant les partis frères s'imputent réciproquement les pires déviations par rapport à ces «chartes», s'accusent l'un l'autre d'en appliquer les principes, qui en dogmatistes, qui en révisionnistes, d'attenter au dogme de l'unité, de verser dans le scissionnisme. Ils vont jusqu'à prononcer le mot fatal de trotskisme, auprès duquel les reproches d'opportunisme, de gauchisme, d'aventurisme et de capitulationnisme ne tirent guère à conséquence. On en perd de vue les idées sœurs des partis frères, pour ne considérer que le jeu d'échecs livré au niveau subalterne de la realpolitik. Sur ce plan, il est plaisant que pour justifier leur sophisme quant aux effets éventuels d'une guerre nucléaire, les Chinois ressentent le besoin de s'abriter derrière Staline qui a dit en septembre 1946 : «Je ne crois pas que la bombe atomique soit une force aussi sérieuse que certains politiciens sont tentés de le croire. Ces bombes atomiques doivent intimider les gens aux nerfs fragiles, mais ne peuvent décider l'issue d'une guerre. » Belle citation qui démontre la sottise de Staline et de ses disciples, à les supposer sincères, mais rien n'autorise une supposition pareille : il ne s'agit que de cynique forfanterie pour masquer de l'impuissance. On comprend que le discrédit de Staline accepté à Pékin en 1956 soit devenu gênant pour Mao quand celui-ci voulut se tracer une voie divergente sous l'égide de répondants illustres. Sans préjudice du coup porté au « culte de la personnalité », atteignant Mao en même temps que Staline. C'est bien pourquoi le Quotidien du Peuple révèle tardivement son opposition aux «aspects négatifs » du XXe Congrès du P.C. soviétique. Que pour Staline et Mao l'arme atomique ne soit pas très << sérieuse » et ne doive intimider que « les gens aux nerfs fragiles », cela donne la mesure à la fois de leur intellect et de leur marxisme. Professer une doctrine qui postule le déterminisme historique du mode de production, du progrès technique, et te~r l'armement nucléaire pour une donnée secondaire dans les rapports de forces - l'inconséquence prête à rire. Surtout si l'on se rappelle les vues d'Engels, après la guerre de 1870, sur l'importance décisive du Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL « fusil rayé se chargeant par la culasse », sur le perfectionnement « des canons permettant d'atteindre un bataillon d'aussi loin que l'œil le distingue», etc., d'où il concluait « qu'un nouveau progrès de quelque influence transformatrice n'est plus possible » et que « l'ère de développement est donc close de ce côté pour l'essentiel ». En outre, Engels entrevoyait « la fin du militarisme et avec lui de toutes les armées permanentes». Or il n'a pas connu la mitrailleuse automatique, l'artillerie du :xxe siècle, les gaz toxiques, ni la radio, les tanks, l'aviation, les fusées, ni enfin la bombe thermo-nucléaire. Après lui, Lafargue, que les communistes actuels tiennent pour une lumière du marxisme, a prédit que le fusil à répétition rend les guerres impossibles. Le marxisme-léninisme de Staline et de Mao a révisé tout cela et mis bon ordre à ce confusion- . rusme. Sous des aspects de surenchère dans l'orthodoxie, l'incontinence verbale des communistes masque mal des intérêts de cliques, à ne pas " confondre avec l'intérêt des Etats ou des peuples. Ce qui frappe d'abord dans la dispute, c'est le contraste entre l'insolence extrême des Chinois, plus grossière encore chez les Albanais, et la courtoisie relative des Russes, imitée par leurs auxiliaires. Il est clair que les uns n'ont plus rien à perdre, les autres craignant la cassure mais n'ayant pas les moyens d'imposer silence aux maîtres chanteurs. Les Chinois dénoncent avec raison le «chauvinisme de grande puissance » du parti frère qui peut, en retour, blâmer leur chauvinisme de grande impuissance. Ils font allusion aussi au colonialisme russe et soviétique, profiteur de terres jadis chinoises : certes il est temps que les champions de l'anticolonialisme retournent au berceau originel des Slaves dans les Carpathes, évacuant leurs conquêtes coloniales étendues de la Vistule et du Dniepr aux mers d'Okhotsk et du Japon. Enfin Mao affecte le fair play en publiant les proses illisibles de ses critiques occidentaux et il défie ceux-ci de reproduire les siennes; d'avance, les connaissant, il les traite de lâches, comme si dans ces milieux la discussion loyale était de rigueur. Ainsi l'idéologie commune, dite marxismeléninisme, reste au-dessus de toute atteinte et le Quotidien du Peuple (5 mars) a encore soin de réaffirmer la lutte sur deux fronts, « contre le dogmatisme et contre le révisionnisme », alors que la Pravda en a autant à son service. Cela ne contribue pas à expliquer la volte-face par laquelle Khrouchtchev donne à Tito la préférence sur Mao. Le règlement de comptes porte donc sur des affaires pratiques : les deux parties l'avouent en prenant rendez-vous pour un marchandage où, sans témoins et entre « sans-scrupules conscients », il ne sera certainement pas question ~e l'impérialisme incurable ni de la guerre inéluctable. B.· Souv ARINE.
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