rev11e !tistorique et critique Jes /aitJ et JeJ idées Mars-Avril 1963 Vol. VII, N° 2 PARTIS FRÈRES ET IDÉES SaEURS par B. Souvarine Au POINT où en sont les choses dans le camp troublé du communisme, on peut se dispenser de suivre pas à pas les protagonistes dans leurs manœuvres, feintes et contre-feintes préparant le marchandage sans conviction qui doit avoir lieu entre Moscou et Pékin afin de replâtrer leur unité de façade. Au déluge de verbiage communiste charriant citations de Lénine et clichés de propagande correspond un torrent de commentaires «bourgeois » pleins de cheveux coupés en quatre, exemple à ne pas suivre. Les rédacteurs communistes rabâchent et les commentateurs se répètent. Une double question reste entière : à quel sujet précis la discorde cc subjective» a-t-elle pris tournure irrémédiable et à quel prix un arrangement temporaire serait-il possible ? Personne n'est actuellement en mesure d'y répondre. Les affirmationspéremptoires tenant lieu d'arguments et les insinuations perfides échangées entre «marxistes-léninistes» de tous poils ne laissent planer aucun doute sur les sentiments qui animent les« partis frères», comme ils s'entredésignent en public sans craindre le ridicule. Le doute ne subsiste que sur les intentions chinoises à court terme, car si l'entreprise de chantage à la scission est évidente, personne ne sait jusqu'où Mao veut aller dans l'immédiat, ou s'il entend singer Lénine sans plus tarder pour constituer à bref délai une Internationale selon ses vues. La publication à Pékin et la diffusion en dix langues d'une abondante littérature (revues et brochures) dénotent une volonté séparatiste sans déceler de date approximative. Moscou cherche visiblement à gagner du temps sans transiger sur le fond ni envenimer la querelle. En tout cas il se confirme pleinement que ce Biblioteca Gino Bianco sont des intérêts et des particularismes qui déterminent l'antagonisme : les partis frères ne trouvent à s'opposer réciproquement que des idées sœurs. Non contents de professer la « coexistence pacifique » et de s'attribuer même l'initiative de cette politique sous forme des «cinq principes de Bandung », les Chinois invoquent à présent l'autorité sacro-sainte de Lénine : «La politique de coexistence pacifique telle qu'elle avait été définie par Lénine et Staline est entièrement correcte et nécessaire... » Staline, en effet, a plusieurs fois admis, non pas défini, la coexistence pacifique, comme on l'a suffisamment démontré ici même, mais pas Lénine. D'ailleurs le Quotidien du Peuple et le Drapeau rouge de Pékin dont la prose submerge le monde, si prodigues en citations du maître, n'en fournissent pas une seule à l'appui, et pour cause. Ensuite ces publications récidivent en prônant « la coexistence pacifiquepréconisée par Lénine après la révolution d'octobre 1917 », ce qui est faux et que ne justifie aucun texte. Toujours est-il que « l'inéluctabilité des guerres» s'efface comme par enchantement à la faveur de l'intervention posthume et apocryphe de Lénine dans cette obscure querelle. Il semble que les Chinois mettent une sourdine, sans doute provisoire, à leur bellicisme verbal pour ne pas se montrer en fâcheuse posture de trouble-paix alors qu'ils s'efforcent de rallier partout des partisans et des suiveurs. Leurs incursions sans issue dans l'Inde ne leur ont valu nulle part un surcroît de prestige, même si leurs faibles voisins en éprouvent un supplément de crainte. Ils peuvent encourager de la voix et du geste aujourd'hui Cuba contre les Américains comme hier l'Algérie contre la France, non
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