Le Contrat Social - anno VII - n. 2 . mar.-apr. 1963

J. R. AZRAEL soviétiques avaient été complètement « dépolitisés ». Bien entendu, pareille « dépolitisation » est un leurre. QUE le récent procès, tenu secret, d'Olga lvinskaïa et de sa fille ait été motivé par un désir de vengeance ou par un plan à long terme pour «réhabiliter» Boris Pasternak, le mobile n'en était pas moins d'ordre essentiellement politique. Pasternak lui-même, bien sûr, ne fut pas traduit en jugement, mais deux écrivains soviétiques de moindre renom - A. Iessénine-Volpine et M. Naritsa (Narymov) - « coupables » eux aussi d'avoir fait paraître leur prose à l'étranger sans autorisation officielle, furent jugés en secret et se trouvent actuellement sous les verrous. C'est également la politique qui a présidé au procès pour « faux » mtenté au rédacteur en chef de la revue non conformiste Syntaxe. Le mobile politique est patent dans bien d'autres actions judiciaires. Comment caractériser autrement les procès à l'issue desquels des parents sont emprisonnés ou déchus de leurs droits paternels (c'est-à-dire séparés de force de leurs enfants), ou les deux à la fois, sous prétexte d'une ambiance familiale cc malsaine » ( autrement dit, religieuse) 4 ? De même, les tribunaux ont été mus par des considérations politiques en qualifiant certains crimes de « socialement dangereux», donc passibles des peines les plus graves, alors que toutes les considérations de légalité et d'équité auraient dû conduire à un châtiment beaucoup plus modéré ou même à l'acquittement. Ainsi un villageois avait abattu un maraudeur dans son petit verger privé ; pour la simple raison que le régime intensifiait alors sa campagne contre l' « instinct de la propriété » et les lopins individuels, le pauvre homme fut soumis à un « procès pour l'exemple» (auquel nous avons personnellement assisté) et son crime considéré comme un assassinat prémédité, « socialement dangereux » 6 • Une affaire analogue, avec cette différence qu'il s'agissait d'une propriété publique, se termina de tout autre manière 6 • Ces quelques exemples suffisent à démontrer que la «politisation» de la justice n'a pas cessé et que Khrouchtchev en a menti devant le XXIe Congrès. Il n'y a aucune raison de croire que pareils cas sont l'exception. Le droit et la pratique Judiciaire soviétiques ne sont peut-être plus le simple simulacre qu'ils étaient sous Staline ; il n'en demeure pas moins, comme il ressort à 4. Cf. Pravda, 25 juillet 1962 ; Sovietskaïa Litva, 25 déc. 1959; Tourkmienskaïa Iskra, 20 sept. 1960. S· Cf. notre « Murder Trial in Moscow », in The Atlantic, mai 1962. 6. Cf. Izvestia, 25 juillet 1961. L'accusé fut d'abord condamn~ à cinq ans de r~cluaion. Mais les / zvestia entrèrent en lice, qualifiant la condamnation de parfaitement inique. A la suite de cette intervention, il est plus que probable que le prisonnier a ~té relâch~. Biblioteca Gino Bianco 111 l'évidence de la lecture du préambule à la nouvelle loi sur les « crimes d'Etat », que tous deux se fondent toujours « sur la nécessité de la plus grande défense possible de (...) l'Etat». En fait, les juristes soviétiques contestent encore la reconnaissance de la défense des droits des citoyens comme l'une des fonctions de la loi 7 • Jus populi SI LALOI SOVIÉTIQUimEposée par la police et appliquée par les tribunaux est loin d'atteindre au niveau de la légalité démocratique telle que nous la concevons, que dire de la loi soviétique imposée et appliquée par les prétendues « organisations publiques » - << tribunaux de camarades », «brigades volontaires » et « réunions publiques » - dotées depuis peu de fonctions parapolicières et parajudiciaires. Les Soviétiques et certains Occidentaux ont salué comme un signe de « démocratisation » le rôle accru des « organisations publiques ». Ce qui est proprement insoutenable si l'on entend par démocratie quelque chose de plus que la participation des masses. Lesdites organisations ne sont en aucune manière des corps autonomes, mais de simples « courroies de transmission » fonctionnant sous la stricte tutelle des autorités centrales. Le régime s'est toujours efforcé de manipuler à ses propres fins Ja pression de groupe et d'user du kollektiv pour renforcer l'efficacité de la coercition gouvernementale formelle. Dans cette optique, les « organisations publiques » ne représentent rien d'autre qu'une nouvelle étape de l'institutionnalisation des pressions de groupe. Le renforcement de ces organisations permet de prétendre que la coercition «répressive» fait place à la coercition « préventive ». Distinguer les deux est bien souvent factice : c'est ainsi, par exemple, que les lois « antiparasites » sont présentées comme ayant un caractère «préventif». Or, là même où la distinction existe, on entend par « prévention » non pas un relâchement de la pression, mais une attaque générale contre tous les aspects de la vie privée, y compris ceux qui ne sont pas régentés par la loi. Bref, loin d'être un signe de « démocratisation », les « organisations publiques » ne sont qu'un effort du régime pour renforcer sa légitimité idéologique, se décharger de la responsabilité immédiate des mesures coercitives, obliger un nombre toujours croissant de citoyens à se faire ses complices actifs, élargir le domaine de sa surveillance. La compétence des « organisations publiques » n'a fait que s'étendre et se politiser. Le premier décret du Comité central sur les « brigades volontaires » se contentait de spécifier qu'elles auraient à s'occuper des ivrognes, des voyous et des individus coupables d'autres délits mineurs. En pra7. Izvestia, 26 déc. 1958; Questions de l'ldificatio,i du eommunisme en U.R.S.S., Moscou 1959, pp. 296 sqq.

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