Le Contrat Social - anno VII - n. 2 . mar.-apr. 1963

92 trophe 16 • Pendant la période relativement calme de la nep, le taux de croissance annuelle fut le ' 0/ 0/ 0/ suivant : 2,1 10 en 1924, 2,2 10 en 1925, 2,4 10 en 1926, 2,3 % en 1927, 2,5 % en 1928. Le « grand tournant » de la collectivisation et de l'industrialisation fut également un grand tournant démographique. Le taux de croissance annuelle tombe à 2,1 % en 1929, 1,9 % en 1930, 1,7 % en 1931 et 1,5 % en 1932. Entre le recensement de décembre 1926 et celui de janvier 1939 la population n'augmenta en moyenne que de 1,23 % par an. Elle augmenta de 18,7 millions entre 1927 et 1932, mais seulement de 4,8 millions pendant les six années 1933-38 où les effets de la famine, de la terreur et des déportations massives se firent sentir. Certaines nationalités furent particulièrement frappées par les persécutions. Ainsi, tandis que l'ensemble de la population s'accroissait de 15,9 % entre 1927 et 1939, le nombre des Ukrainiens diminua de 10 %; 1 million (sur 4) de Kazakhs disparurent dans la tourmente (J ., p. 323). Selon les estimations de S. Prokopovicz, les deux années de famine 1933 et 1934 firent 6,4 millions de victimes, ce qui donne un déficit démographique d'environ 9 miUions : plus que la saignée des années de guerre 1915-17 (8,8 millions de déchet démographique). Si le taux de croissance des années de la nep avait été maintenu, !'U.R.S.S. aurait dû avoir plus de 191 millions d'habitants en 1939. En fait, à cette date, elle en comptait environ 170,5 millions. Le plan prévoyait une population de 172,2 millions à la fin de 1932 et de 180,7 millions à la fin de 1937. En réalité, les effectifs réels furent inférieurs aux chiffres escomptés de 5,5 millions en 1932 et de 13,7 millions en 1937. La « collectivisation » fut aussi coûteuse que les six années de guerre civile et de famine 1918-23, deux fois plus coûteuse que la première guerre mondiale, mais elle permit à la bureaucratie de « résoudre » la crise du ravitaillement et d'imposer à l'agriculture les « rapports de production» qui lui sont propres. Le kolkhoze : communauté fiscale SOUVENONS-NOdUe SMarx : « La forme économique spécifique dans laquelle du surtravail non payé est extorqué aux producteurs immédiats, détermine le rapport de domination et de servitude » entre les classes (K., III, 841). Si le surproduit agricole peut apparaître sous forme de travail (corvées), de biens en nature et de rente en argent, quelle est la « forme spécifique » sous laquelle il est extorqué aux paysans embrigadés dans les kolkhozes ? Depuis l'origine et jusqu'aux réformes récentes de Khrouchtchev (abolition des livraisons obliga1 s. Pour ce qui suit, cf. Paul Barton : « Le déficit démographique en U.R.S.S. », in Contrat social, nov. 1959. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL toires), les kolkhozes furent essentiellement des communautés fiscales du type de celles qui ont existé dans l'Egypte des Lagides, le Bas-Empire ou l'Empire byzantin : au lieu de percevoir des impôts en nature sur 2 5 millions d'exploitations paysannes, la bureaucratie préféra capter la matière fiscale à sa source même en incorporant 20 millions de familles paysannes dans 240.000 kolkhozes. Ce « collectivisme » a depuis toujours été l'instrument de prédilection du despotisme bureaucratique .. Comme l'écrit Gustave Glotz à propos de l'Egypte des Ptolémées, « c'est si commode pour l'administration de donner des ordres aux fermiers d'un village réunis en corps et de régler le service des âniers en s'adressant à leur secrétaire 16 »••• Si le « secrétaire des âniers » prête à sourire, que dire des innombrables comptables, surveillants, « messagers » et autres « administrateurs » qui pullulent dans les kolkhozes ? L'idéologie officielle a attribué la collectivisation à une impérieuse nécessité du progrès agricole et Staline n'a pas manqué d'évoquer « la célèbre thèse marxiste sur l'avantage de la grosse exploitation sur la petite » (1, 291). De même Trotski, le véritable promoteur de la « collectivisation », affirmait dans La Révolution trahie (p. 63) que le regroupement des fermes dans de gigantesques « fabriques à céréales » était « une question de vie ou de mort pour les paysans, l'agriculture et la société»... Encore une fois, aucune raison économique ne militait en faveur de l'expropriation massive des paysans, et l'obses-· sion du gigantisme n'a aucun rapport avec le progrès réel de l'agriculture. Si, aux Etats-Unis, le nombre des exploitations agricoles est tombé de 6.387.000 en 1920 à 4 millions en 1950, ce processus de regroupement s'est étalé graduellement sur trente années au cours de~quelles la productivité agricole s'accrut de 100 o/ 0 (elle a triplé en ce qui concerne la culture des céréales). Rien de tel en U.R.S.S. : imposés par la terreur, démunis de personnel qualifié et d'infrastructure technologique, les kolkhozes furent un désastre et demeurent aujourd'hui le principal goulot d'étranglement de l'économie. Comme l'affirmait Staline, « les ouvriers (sic) ont réussi à convaincre les paysans de l'avantage que la grosse économie collective a sur la petite économie individuelle» (1, 282)... C'était si vrai qu'en 1939, pour attacher le paysan au kolkhoze, un décret spécial « sur la protection des terres socialistes des kolkhozes contre la dilapidation » rendit obligatoire un minimum de journées de travail fournies annuellement dans les kolkhozes : de 60 à 100 jours selon les régions. En 1942, ce minimum fut porté à 100, 120 et 150 journées, tandis qu'une fiscalité impitoyable (aggravée 'en 1954) s'abattit sur les kolkhoziens travaillant moins de 100 jours par an dans le kolkhoze. Comme la majeure partie des revenus 16. G. Glotz : Le Travail dans la Grèce ancienne, 1920, p. 387.

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