K. PAPAIOANNOU primes aux assurances obligatoires pour recevoir, en cas d'accident, des indemnités inférieures de 20 %, etc. (J., p. 313). « C'est ainsi, disait Marx, que la population des campagnes, violemment expropriée et réduite au vagabondage, a été rompue à la discipline qu'exige le système du salariat par des lois d'un terrorisme grotesque» (K., I, 776). Que penserait-il du système du travail forcé ? Selon les estimations de Sombart 11 , la population servile de l'ensemble des pays e-sclavagistes s'élevait en 1830 à 6,8 millions (dont 2,3 aux U.S.A. et 2 au Brésil) : c'est à peu près le nombre des forçats des « camps de travail » à l'époque de la « collectivisation ». Sombart cite aussi de nombreux exemples où l'Etat obligea la population à un véritable travail forcé dans les manufactures et dans les mines aux xv1e,xvne et xv111° siècles. Dans les pays de l'Est dans lesquels subsistait le servage, notamment en Russie où l'Etat a été le principal agent de l'industrialisation et le créateur du servage, le prolétariat industriel est né du transfert massif des serfs de la couronne. En 1794, 312.000 serfs avaient été mobilisés et envoyés dans les mines russes ; les deux tiers étaient employés par l'Etat 12 • L'incorporation des paysans dans les kolkhozes permit à la bureaucratie de ressusciter ces procédés primitifs de recrutement de la main-d'œuvre. Si la terreur de la collectivisation chassa des millions de paysans vers les villes, la baisse des salaires ouvriers, la crise du logement et le rationnement de famine avaient fini par créer une situation où, disait Staline en juin 1931 (II, 43), « il était impossible de compter sur l'afflux spontané de la main-d'œuvre ». Jetant un voile d'humour noir sur les conditions infernales qui régnaient alors dans les villes aussi bien que dans les villages, Staline attribuait cet arrêt de l'exode rural au fait que le régime « avait surmonté la misère qui chassait le paysan de la campagne vers la ville» ... La campagne, disait-il, « n'est plus une marâtre pour le paysan »(II, 42) ; c'était donc une « erreur » de « soupirer après le bon vieux temps où la main-d'œuvre allait d'elle-même aux entreprises ». Il fallait... ... passer à la politique de recrutement organisé des ouvriers pour l'industrie. Pour ce faire, il n'existe qu'une seule voie, celle des contrats des organisations économiques avec les kolkhozes et les kolkhoziens (II, 43). On sait ce qu'étaient ces « contrats de travail collectif» passés entre les kolkhozes, c'est-à-dire les fonctionnaires dirigeants de ceux-ci, et les entreprises industrielles : le kolkhoze s'engageait à fournir pendant un temps déterminé une certaine quantité de main-d œuvre à un prix anormalement bas; cette main-d'œuvre était ensuite recrutée dans le kolkhoze même « à 11. Werner Sombart : Der mod,rn6 Kapitalismus, 1919, I, I, p. 701. 12. Id., p. 814. Biblioteca Gino Bianco 91 l'aide de mesures de contrainte appropriées», dit Charles Bettelheim, qui poursuit : Cette méthode, surtout employée pour faire travailler les paysans dans les mines, est une véritable vente de la force de travail d'autrui. Za Indoustrializatsiou, en particulier dans ses numéros du 16 aoüt 1936 et du 15 décembre 1936, s'est élevé souvent, non contre le principe de ces contrats, mais contre les modalités qu'ils contiennent et, spécialement, contre les salaires beaucoup trop bas qu'ils prévoient et qui sont une des raisons pour lesquelles la grande majorité des paysans ainsi employés s'enfuit à la moindre occasion du lieu du travail 13 • Ces cc contrats » ont servi de couvert à de véritables levées en masse. Par exemple, un décret du 11 février 1931 obligea les kolkhozes à mettre à la disposition du gouvernement, sur une base proportionnelle, un contingent total de 2.662.000 hommes pour les envoyer dans les mines et en Asie centrale. Le cotit de l' << accumulation pl'imitive » EN U.R.S.S. aussi cc le capital est venu au monde suant le sang et la boue par tous les pores » (K., I, 801). Certains des résultats des dragonnades staliniennes ont pu être chiffrés. De même que les ouvriers des manufactures primitives brisaient les machines, de même la résistance des paysans s'exprima par le massacre du bétail : en cinq ans, le cheptel fut amputé de 176 millions de têtes sur 276 (J., pp. 323-24). En 1928, la Russie possédait 33,4 millions de chevaux. Il n'en restait que 14,9 en 1933 ; 18,5 millions de chevaux (l'équivalent de 14 millions de CV, soit le parc entier des machines agricoles soviétiques de I953) avaient été massacrés. Ainsi que 36, 7 millions de bêtes à cornes - plus de 50 % du total, - 17 millions de porcins (sur 26) et 104 millions (plus de deux tiers du total) de moutons et de chèvres. Dans certaines régions, le cheptel fut presque anéanti : au Kazakhstan il ne restait plus en 1933 que 400.000 chevaux sur 3,8 millions, 900.000 têtes de gros bétail sur 7,7 millions et 1.,2 million de moutons et de chèvres sur 26,6. D'immenses étendues de terres restèrent incultes, la production kolkhozienne baissa de plus de 30 °/4 pendant les six premières années de la cc collectivisation » et la famine s'installa dans la steppe noire de l'Ukraine et en Asie centrale : W. H. Chamberlin évalue à 60 millions les habitants des régions touchées par la famine de 1933-34 14 • Il est impossible de chiffrer exactement le coftt de l'opération en vies humaines. Le fléchissement de la croissance démographique donne néanmoins une idée de l'ampleur de la catas13. Ch. Bettelheim : La Planification soviüique, 1945, p. 166. 14. W. H. Chamberlin : Russia's Iron Age, 1934, p. 88.
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