Le Contrat Social - anno VII - n. 2 . mar.-apr. 1963

LA PROLÉTARISATION DES PAYSANS par Kostas Papaioannou II La contre-révolution totalitaire « TOUTE L'HISTOIRE ÉCONOMIQUE, dit Marx, tourne autour de l'opposition de la ville et de la campagne 1 • » Il appartenait au bolchévisme de développer dans la pratique cette intuition que Marx n'a malheureusement pas explicitée théoriquement. Rappelons brièvement les données du problème. Villes et campagnes LA PREMIÈRE CONSÉQUENCE de la victoire paysanne de 1917-18 (sans laquelle le maintien du bolchévisme au pouvoir eût été impossible) avait été le nivellement total de la campagne, la disparition complète de la classe des grands propriétaires et la généralisation de la petite et moyenne exploitation paysanne. Ainsi le nombre des cultivateurs indépendants passa de 16 à 24 millions : l'énorme majorité (14,3 millions de fermes, 81 millions de personnes, 62,8 % des familles paysannes, 71,9 °/o de la population rurale) était en 1926-27 des paysans moyens. D'autre part, si, avec l'expropriation des capitalistes et des grands propriétaires, et le cc déclassement » universel des années de guerre civile et de famine, la lutte de classes, au sens traditionnel du terme, avait disparu, la cc révolution permanente» n'était pas finie pour autant. A l'intérieur de l'économie citadine cc nationalisée », un nouveau conflit se préparait en sourdine entre les ouvriers, redevenus passifs dans les « rapports de production », et les nouveaux patrons qui surgissaient par mUUers de tous les pores du secteur étatisé et aspiraient 1. Da.s Kapital, ~d. Dietz, 1951, I, p. 369. Pour les références dans le texte, si.gla : Alexander Baykov : The Development of the Soviet Economie System, 2e édit., 1950. Titre abrégé : B.; Naum Jasny : The Socialized Agriculture of the U.S.S.R., 1949. Titre abrégé : J.; H. Wronski : Le Troudoden, Paris 1957. Titre abrégé : W. Biblioteca Gino Bianco à se libérer du contrôle de plus en plus faible ~ des organisations ouvrières. La vigueur de cette nouvelle classe de bureaucrates et de managers se mesurait déjà à l'accroissement vertigineux de ses effectifs : dix ans après la révolution qui avait promis d'abolir définitivement le fonctionnariat de métier, alors que l'économie nationale et la population ouvrière venaient juste de retrouver leur niveau d'avant guerre, le nombre des fonctionnaires avait quadruplé, passant de I million en 1917 à 4 millions en 1927. Tandis que les conditions d'une nouvelle explosion de la lutte de classes, cette fois-ci entre le prolétariat et la bureaucratie, se créaient chaque jour, spontanément et massivement, en raison même de la reconstruction économique, une autre contradiction déchirait la Russie postrévolutionnaire. Si, dans tous les pays, la « dualité du pouvoir » est l'indice le plus sûr d'une situation critique et révolutionnaire, en U.R.S.S. la dyarchie découlait du principe même de l'économie mixte et se manifestait à l'échelle nationale comme une opposition radicale entre la ville et la campagne. C'est le développement dialectique de cette contradiction qui a précipité la nouvelle classe dans une lutte totale et impi- . toyable contre toutes les classes de la population laborieuse, et a rendu possible la prolétarisation intégrale des paysans. Le problème sur lequel le nouveau régime a buté dès ses premiers pas, et qu'il s'est révélé incapable de résoudre par des moyens non terroristes, fut d'assurer le ravitaillement des villes en établissant des courants normaux d'échanges entre la ville et la campagne. Tout d'abord, depuis le partage des terres, la campagne s'était atomisée en une poussière de petites exploitations qui ne produisaient plus pour la vente, mais pour leur propre consommation. Comme la production des kolkhozes et des sovkhozes était, en 1927-28 encore, quasi nulle ( 1 ,8 % de la production agri-

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==