M. COLL/NET dated Trades Union: elle s'efforce de grouper la totalité des travailleurs, y compris les manœuvres et les petits paysans, et meurt de cette prétention à l'uruversalité. Une organisation a d'autant plus besoin d'une stabilité démographique qu'elle est plus ouverte aux influences extérieures : les « chevaliers du travail » sont les victimes des flux et reflux migratoires qui transforment un pays presque désert de cultivateurs et d'éleveurs en une gigantesque puissance industrielle. Entre la misère et l'évasion, il n'y a pas place pour une solide confédération syndicale. Les syndicats professionnels ne peuvent vivre et se consolider que dans l'hypothèse où les métiers ne sont pas eux-mêmes trop boulevèrsés par les mutations techniques. On sait en quel mépris Lénine tenait l'activité et l'esprit « trade-unionistes » des syndicats anglosaxons, représentatifs à ses yeux d'une aristocratie d'ouvriers qualifiés se situant au-dessus de la masse prolétarienne. S'inspirant de Kautsky, il en concluait que la conscience révolutionnaire ne pouvait être apportée à la classe ouvrière que par les intellectuels. Or, en ce début du :xxe siècle, l'existence .de la C.G.T. française témoignait que des ouvriers, en immense majorité qualifiés, faisaient preuve d'un esprit révolutionnaire étranger et même hostile au socialisme des intellectuels et des politiques. Non seulement elle rejetait tout égoïsme corporatif, mais encore elle se définissait comme courant révolutionnaire original. Au xxxe siècle, les ouvriers français, même les mieux payés, avaient montré qu'ils savaient se battre pour les libertés politiques et le droit au travail. C'est cette élite ouvrière, peu modifiée par l'évolution assez lente des structures techniques, que l'on retrouvait dans les syndicats et fédérations de métiers appartenant à la C.G.T. La morale du travail s'y alliait à un comportement révolutionnaire s'exprimant par la formule fameuse du « refus de parvenir » dans la société bourgeoise de l'époque, identifiée d'une manière très schématique avec le régime démocratique et parlementaire. A un congrès de la C.G.T., en 1908, un délégué faisait de la capacité professionnelle le fondement éthique de la révolution sociale : « Qu'est-ce qui donne à l'ouvrier sa valeur sociale dans l'état économique actuel ? Je dis: c'est sa valeur professionnelle, et lorsqu'on parle d'organisation, il ne faudrait pas oublier cela. Nier la valeur professionnelle de l'ouvrier, c'est, ni plus ni moins, donner des circonstances atténuantes à l'exploitation capitaliste. » Ainsi, l'exploitation des travailleurs était d'abord celle de leurs connaissances. Par ailleurs, les syndicats faisaient du métier la base permettant de « revendiquer hautement son droit à la vie par le travail"· Le métier se substituait à la propriété comme fondement d'une nouvelle Déclaration des droits, cette fois des droits ouvriers. On voit à 9ucl point pareil syndicalisme peut, dans ses considérations éthiques, demeurer étranger aux ouvriers non qualifiés. Convaincu qu'il Biblioteca Gino Bianco 3 réunit une élite ouvrière, il se définit non comme un syndicalisme de masse, mais comme une « minorité agissante » destinée à conduire la classe ouvrière à la Révolution. Organisation de combat, il pratique la grève et la lutte de classes, mais fort peu la solidarité matérielle parmi ses membres. Contrairement à ses puissants voisins de Belgique ou d'Allemagne, il néglige les formes d'entraide qui stimulent le recrutement. De là, avec le mépris du fonctionnaire ouvrier, une faiblesse de structure administrative et une mobilité des cadres qui peut justifier le « refus de parvenir», mais qui a permis, après la première guerre mondiale, en raison de l'influence révolutionnaire, une pénétration des organisations par l'appareil du parti communiste. A la théorie des « minorités agissantes» intérieures aux syndicats, le P.C. a substitué la théorie et la pratique des syndicats dirigés de l'extérieur - par lui-- même. Cependant, les fédérations et syndicats de métiers devaient, dès avant 1914, à travers bien des vicissitudes 3 , céder la place aux fédérations et syndicats d'industrie. Ouverts à tous les ouvriers, qualifiés ou non, ces syndicats resteront des cadres presque vides jusqu'en 1936, à de rares exceptions près. En dépit de cette structure syndicale, l'apparition, au début du siècle, d'une nouvelle classe de manœuvres spécialisés sans formation professionnelle (nommés « ouvriers spécialisés» dans la terminologie officielle) a provoqué une crise grave dans les syndicats. Parlant de ces manœuvres qu'il qualifiait d' « hommes-outils », Merrheim ne cachait pas son inquiétude sur l'avenir du· syndicalisme tel qu'on le concevait dans l'ancienne C.G.T. : il les jugeait « des bras sans cerveaux et des automates de chair » inaptes à toute compréhension syndicale'· Merrheim exagérait, mais sa brutalité signifiait que le syndicalisme pénétré des coutumes professionnelles héritées du siècle précédent était mort. * • • LE SYNDICALISMB moderne s'est adapté aux nouvelles conditions que le travail rationalisé a faites aux ouvriers : il a forgé des syndicats d'industries et recruté des manœuvres spécialisés. La Grande-Bretagne, la première, créa des unions de manœuvres, les Allemands en recrutèrent en 1920, et la C.G.T. en 1936. Pendant le New Deal, les Américains fondèrent le C.I.O. et ses syndicats massifs. Le syndicalisme était, pour les ouvriers professionnels, une extension naturelle de la solidarit~ corporative. Pour les manœuvres spécialisés, sans racine dans leur travail et inditfércnts à sa 3, Cf. notre Esprit du sy,tdicali1ru. Paria 1952. 4. Vi, ouvriir,, s mua 1913.
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